24/04/2022 : portes et verrous

Prédication du 17/06/2023 par le pasteur Marc LABARTHE

Actes 5,12-16.    Apoc. 1,9-19.     Jean 20,19-31

Chaque année, le dimanche après Pâques, nous entendons le même évangile, autour des premières rencontres de Jésus ressuscité, vu par des yeux humains, ce qui provoque la conversion ou l’adhésion à son message — car l’on n’a pas d’informations contraires. Le témoignage qu’il n’est plus un homme mort et enterré, mais qu’il est vivant, sorti de la tombe et vainqueur de la mort n’emporte pas la conviction immédiate des interlocuteurs. Ainsi l’Ev selon Jn attire souvent l’attention sur Thomas, son refus de croire ce qu’il ne peut voir de ses yeux, ce qu’il ne peut intégrer aux capacités humaines. En fait, Thomas est un faire-valoir de ce qui tourne autour du cœur de la foi – qui nous sommes et qui est Dieu, et donc, ce que nous pouvons faire et ne pouvons pas faire.

Selon Jn, le soir-même de Pâques, et encore une semaine après, les portes sont fermées. Les disciples se sont enfermés derrière des portes verrouillées, quelque part à Jérusalem ou Béthanie, parce qu’ils ont peur. Ils ont peur des chefs religieux et de leur succès d’avoir réussi à éliminier un gêneur politico-religieux. Ils ont peur des foules et des émeutes qu’elles peuvent enclencher pour libérer l’un des leurs, arrêté « injustement » comme Barabas. Et les disciples ont probablement peur aussi d’un Messie qui est revenu d’entre les morts, et qui pourrait bien vouloir régler ses comptes avec une bande de lâcheurs qui l’avaient abandonné à son triste sort. Mais quelqu’en soit la raison, les portes sont verrouillées.

L’Evangile raconte une histoire de peur et d’auto-protection; il rejoint ainsi notre actualité, à plusieurs niveaux. Nous connaissons tous les portes verrouillées, les choses qui nous maintiennent confinés et qui nous posent des limites, les événements et discours qui nous éloignent le plus possible les uns des autres. Nous avons tous nos verrous personnels, des choses comme la peur, le doute, la colère et les ressentiments, des choses qui sont issues de notre propre histoire, nos propres blessures, notre justice et notre fierté et, bien sûr aussi notre mauvaise conscience. Nous avons chacun, et tous ensemble, ce qu’il faut pour nous placer dans la même situation que celle des disciples.

À bien des égards, c’est la condition naturelle de l’être humain. Nous sommes tous comme ça. Vivre en tant qu’être humain dans le monde, signifie en certaines situations, vivre derrière des murs et des portes verrouillées. Dès qu’une personne se sent agressée sur un point sensible, le ton devient cassant, les paroles blessantes, les écoutilles se ferment. Parfois, c’est bien parce que nous le voulons ; parfois c’est malgré ce que nous voulons ; parfois c’est même alors que nous cherchons à ce que nos vies soient différentes. Mais quelles que soient les circonstances, cela fait partie de ce que signifie être une personne. D’aucuns ont voulu placer toutes ces crispations, sous le mot d’aliénation : c’est-à-dire être séparé, de manière fondamentale, du monde naturel, les uns des autres, de Dieu et de nous-mêmes.

En fait, il y a toutes sortes de façons de parler de cette réalité humaine. Elle sous-tend toute l’histoire biblique, à commencer par les relations induites par le serpent. Les Écritures insistent sur le fait qu’il y a quelque chose de fondamentalement incomplet et brisé en nous, quelque chose qui a besoin d’une réparation divine. L’aliénation est une soif de plénitude qui est toujours juste hors de notre portée. Et l’humain n’arrête pas de tenter de trouver la solution par ses propres moyens, s’infligeant souvent plus de mal que de vrai bonheur. Nous découvrons que non seulement nous sommes fondamentalement limités et incomplets, mais aussi que nous ne pouvons pas résoudre le manque par nous-mêmes. Lorsque nous essayons, nous faisons bien souvent un plus gros gâchis que celui avec lequel nous avons commencé, à l’image de tant de guerres, d’esclavages, d’exploitations des enfants, des femmes et des hommes, des animaux et de la terre.

Vivre derrière des portes closes est une image de tout cela, une autre manière de décrire la réalité de l’aliénation aussi fondamentale que douloureuse. Nous pouvons être aussi effrayés et misérables que les disciples dans leur chambre fermée à clé, ou aussi suffisants et sûrs de soi que Thomas qui n’en a que faire de la peur de ses collègues. Mais la porte est toujours verrouillée, et nous le savons très bien.

Pâques, bien sûr, concerne le fait que Dieu franchit les portes verrouillées et nous offre sa personne et sa paix. Il nous donne son amour et offre la possibilité de la foi et d’une vie nouvelle. Et tout cela est un cadeau – glissé sous nos portes verrouillées. Dans l’histoire de l’évangile, les disciples ne font rien de noble, d’héroïque ou que l’on pourrait admirer. Rappelez-vous, les dernières choses qu’ils ont montrées à Jésus, étaient leur dos alors qu’ils s’enfuyaient. La dernière chose que nous avons entendue de Pierre, c’est qu’il a nié trois fois qu’il connaissait même Jésus. Après cela, les disciples se cachent, se taisent. C’est tout ce qu’ils font. Mais Jésus franchit les obstacles et il offre la paix.

Puis, une semaine plus tard, Jésus est de nouveau apparu aux disciples. Mais avez-vous remarqué ce qu’ils ont fait cette semaine-là ? Ils ont gardé les portes verrouillées, et d’autre part, ils n’ont même pas réussi à convertir Thomas – le témoignage de toute l’Eglise n’était pas assez persuasif ou convaincant pour convaincre le seul homme qui veut vraiment croire. Cet évangile n’est pas seulement une histoire sur « Thomas qui doute » ; mais tout autant une histoire sur les disciples peu persuasifs, au témoignage étouffé par leurs verrous et autres peurs.

Pourtant une fois de plus, le Seigneur vient à eux. Une fois de plus, il vient sans conditions, sans revendications, sans récriminations et sans rancune. Même si les portes sont encore verrouillées; même s’ils n’ont rien fait qui vaille la peine d’être souligné; même si à la fin de la semaine pascale ils n’ont pas ajouté un seul converti, le Seigneur vient à eux, et il continue de leur insuffler son Esprit et de rendre une nouvelle vie possible.

Ce qu’il offre à Thomas de voir et toucher, les disciples en bénéficient aussi : Ce qu’il donne à Thomas s’avère ne pas être une tâche à accomplir, ou une vérité à apprendre, ou une cérémonie à accomplir, ou un rituel à respecter. Ce que Dieu donne est un amour qui franchit les portes verouillées, présence impossible dans une pièce fermée à clé. La présence de Jésus est un cadeau qu’il offre à tous, et qu’il nous invite à recevoir à notre tour.

Mon Seigneur et mon Dieu ! ce cri a fait sauté les verrous, s’ouvrir les portes, il a posé des ponts sur les abîmes, et lézardé les murs : les Actes témoignent de ce changement – la peur ne verrouille plus, la parole est partagée sans crainte, les gestes de solidarité rejoignent l’exclu de quelqu’origine qu’il soit.
Que nous soyons des Thomas vindicatifs et électrons libres, ou des disciples apeurés et craignant de faire des vagues, Jésus ouvre un chemin qui ne tient pas compte des verrous ni de l’assurance de celui qui croit savoir, parce qu’il vient donner sa paix, son amour, sa guérison. Et ce fruit peut changer les données. Que son Esprit vienne encore nous consoler et convertir.

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