9/10/2022 : Salut de Confins

Prédication du 17/06/2023 par le pasteur Marc LABARTHE

2 Rois 5, 14 à 17          Luc 17s v 11 à 19

La mise à l’écart des malades, les parquer dans un secteur protégé ou en marge complète de la société – ça vous dit quelque chose ? garder ses distances entre les personnes contagieuses et les bien-portants, avec la peur de la transmission du virus, et les gestes barrières obligatoires, ça vous parle aussi ?  Les contrôles réguliers par des autorités patentées, qui seules peuvent décider et déclarer la guérison du malade, ça aussi, c’est notre actualité… 

Or voilà que nous avons ce matin, un passage d’Evangile qui rejoint et interpelle directement notre histoire de lutte sanitaire anti-covid. Mais nous pourrions aussi élargir notre analyse, en considérant tous ceux que nous maintenons à part de notre vie en société, parce qu’ils sont des étrangers-qui-dérangent de part leur mode de vie ou leur religion. Cette petite histoire d’une guérison de lépreux peut nous donner plusieurs sujets d’éclairage et d’orientation pour notre vie spirituelle et notre vie d’église ou de communauté.

• Luc commence par écrire que Jésus est en route pour Jérusalem : c’est vraiment son dernier voyage, celui qui le conduit à sa passion, la croix et la résurrection. Pourquoi Luc nous donne-t-il cette précision à cet endroit ? Veut-il établir un lien entre la croix et la rencontre des 10 lépreux ? entre le salut de la croix et le salut des 10 hommes ? Nous devons en tenir compte dans notre réflexion.

Luc ajoute que cette rencontre a lieu aux frontières de la Samarie et de la Galilée. Littéralement, Jésus s’avance pour traverser par le milieu de Samarie et de Galilée. Une construction étonnante pour dire que Jésus traverse les confins de Samarie et Galilée. Il s’avance dans ce nulle part entre 2 régions très mal perçues par les Juifs de Jérusalem, un lieu improbable, non-fréquentable. Oui, le chemin de la Passion passe par ces lieux abandonnés, éloignés de toute vie sociale, religieuse, acceptable. Jésus rejoint les plus exclus et désespérés.

Car là, pourtant, il y a une vie, ou plutôt une survie de quelques indésirables. 10  formes humaines se manifestent bruyamment ; ils sont debout et gardent leur distance, selon les règles imposées à ceux qui ont une maladie contagieuse de la peau. Jésus s’apprête à entrer dans un village, et surgissent alors ces lépreux. Serait-ce le village qui leur est dédié, village des exclus, créé pour les condamnés à la quarantaine biblique, dans un nulle part loin des autres villages ? (selon Lév.13+14) . C’est le chemin que doit prendre Jésus vers sa Passion…

Ces lépreux ont découvert que ce groupe de voyageurs est celui de Jésus, un maître et un guérisseur, alors ils font appel à lui pour un peu de compassion : kyrie eleison – epistata eleison ! La compassion que le maître Jésus peut exprimer, c’est une parole et un geste qui conduira vers la guérison. C’est leur espérance la plus folle ! Une guérison signifie qu’ils peuvent sortir de cette zone de rejet et confinement, et rejoindre leurs familles, leurs amis, leurs activités. Ils savent pourtant qu’ils ne peuvent réintégrer leur communauté qu’en démontrant aux autorités qu’ils sont guéris : ils doivent passer le contrôle douanier des prêtres, subir le test antigénique ou PCR avec un résultat négatif, ce qui signifiera la fin de leur galère et le retour à la normale. Rien de nouveau sous le soleil, n’est-ce pas ? 

Jésus les regarde : il y a cet échange de la compassion par le regard ; et sa parole de maître met un terme à cet échange visuel. Jésus leur dit qu’il est temps d’aller se faire tester, et en chemin, ils sont guéris. Cela pourrait être la fin de l’histoire : tout rentre dans l’ordre légal et social.

• Mais voilà qu’une autre brèche s’opère. Ces hommes obéissent à l’ordre reçu, sans discuter avec Jésus, qui a respecté le geste barrière. Ils se mettent en marche pour aller rencontrer le prêtre ; et c’est en marchant qu’ils voient leur lèpre disparaître ; réellement, leur confiance les a sauvés, guéris. La maladie avait réunis ces dix hommes dans le malheur ; la guérison va les séparer brutalement : ils ne sont plus 10 lépreux, 10 exclus ; ils sont neuf bons Juifs et un Samaritain, i.e. un hérétique, un étranger. Il ne sera peut-être même pas reçu par le prêtre-testeur comme les 9 autres. Il doit prendre un autre chemin. Ils vont retrouver la fracture sociale et religieuse qu’imposent les institutions politiques et religieuses.

• Une autre brèche apparaît. Les 10 malades obéissent à Jésus d’aller se montrer aux prêtres. Ils constatent que la maladie disparaît en cours de route. 9 d’entre eux considèrent comme plus urgent de se mettre en règle avec la Loi en continuant leur chemin, il est prioritaire d’obéir à l’ordre de Jésus !  Ce faisant ils donnent l’impression de trouver normal ce qui leur arrive. Ils ne sont pas émerveillés de cette vie nouvelle qui leur est offerte. Une mentalité que l’on retrouve partout, le bien-être, la santé, c’est un dû; et donc pas besoin de reconnaissance. L’essentiel est de rentrer dans le rang des habitudes du monde, justifiés par les prêtres.

Un seul est interpellé par cette guérison si rapide : il se voit guéri. Il s’arrête, il fait demi-tour, il chante sa joie en glorifiant Dieu. Il rejoint Jésus au plus près puisque guéri, et se prosterne devant lui comme devant Dieu. Il est bouleversé en profondeur. Il est capable d’émerveillement, il est capable de changer de trajectoire et de revenir à la source de sa guérison ; il est capable de ne pas répondre aux injonctions des institutions pour rencontrer d’abord celui qui est la source de sa vie renouvelée ; et Jésus le souligne fortement, en ajoutant clairement que pour un étranger/ »goy », c’est un véritable salut dans lequel il se trouve engagé. La Passion

• C’est la dernière brèche ouverte par le texte. Ta foi ta sauvé, guéri – conclut Jésus. Le Samaritain est le seul à recevoir cette promesse, bien que les 10 ont été guéris. Jésus ne retire pas aux 9 bons juifs la guérison qu’ils ont reçue ; il s’étonne que les habitués de l’alliance ne s’émerveillent plus de la grâce divine qui leur est faite, et surtout qu’ils ne se réjouissent pas qu’elle vienne aussi sur l’étranger. Car Jésus ouvre aux Samaritains et aux étrangers de l’Alliance, le salut que sa passion proche manifestera largement. Le chemin de la foi, de la confiance, est un chemin qui sort du cadre posé par les institutions, brise les frontières des confins, pour rencontrer le Christ dans sa force de vie. 

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