31 mars 2024 : le temps du silence

Prédication du 21/01/2024 par le pasteur Marc LABARTHE

Marc 16, 1 à 8

Ce vendredi, nous avons suivi ce que raconte l’Ev selon Mc, au sujet de l’arrestation, du double jugement, de la mort et de l’ensevelissement de Jésus. Et ce matin, alors que nous savons que Christ est ressuscité, nous avons entendu les 8 petits versets que Marc a écrit au sujet de la résurrection. Une véritable privation de nos attentes ! Nous préfèrons le portrait d’un Pierre téméraire et têtu courant deci delà, avec celui que Jésus aimait, jetant un coup d’œil prudent dans un tombeau vide. Ou le récit poignant du face à face de Marie-de-Magdala prenant Jésus pour un jardinier et s’accrochant à lui lorsqu’il prononce son nom, et devenant l’apôtre des apôtres, en partageant la nouvelle avec ses dispersés.

La version de Mc nous laisse sur notre faim. Nous n’avons aucun aperçu de Jésus ressuscité. Pierre  et les autres disciples sont introuvables. Et la dernière ligne de l’histoire s’achève sur le silence. Et pourtant, Marc nous présente ici quelque chose d’important : assumer la situation limite de ce qu’il est possible de faire, ou pas. Ces femmes ont perdu celui dont elles ne peuvent se passer, et elles n’ont rien pu y faire. Lorsque Jésus mourut et fut enterré, la limite de leur capacité d’agir a été atteinte. Elles s’imaginent pouvoir oindre le cadavre avec les huiles achetées à la hâte, mais la lourde pierre qu’elles évoquent est l’expression visible du point limite, jusqu’où elles peuvent aller et pas plus loin. Le maître est mort, leurs huiles sont dérisoires, et bouger la pierre n’y changera rien.

Mais entrées dans le cimetière, ça ne se passe pas comme elles pensaient ! La montagne, cette pierre, qui marquait la limite de leur potentiel, est ôtée; il va falloir aller jusqu’au mort, et le toucher, l’embaumer. Mais, au lieu du mort, elles trouvent un jeune éclatant de vie. Ce n’est pas possible. La limite de ce qu’elles peuvent supporter est franchie bien au-delà du prévu. Elles tourbillonnent dans un monde inconnu, tous les repères sont perdus. 

Alors la voix, jeune et claire, les rejoint avant qu’elles ne sombrent ; le jeune annonce que Jésus a été réveillé/levé des morts, et qu’il marche déjà vers un RDV avec ses amis, et elles doivent en parler. Mais les femmes ne crient pas de joie ; elles sont tétanisées de surprise, de terreur. Puis le réflexe de sécurité les font courir aussi vite qu’elles le peuvent, loin de ce vide sidéral, pour échapper à l’aspiration puissante d’un message déboussolant. 

La première visite à la tombe n’inspire donc ni croyance ni transformation, mais la fuite et le silence. Et peut-être que nous aussi avons besoin de ce temps de digestion, lorsque nous sommes confrontés comme ces femmes, à l’insensé, ces guerres et oppressions au sein même de nations chrétiennes, à tous ces refus de nos industriels et politiques de prendre un cap non-destructeur de l’environnement. Nous sommes déconcertés et fatigués, et la tristesse nous prend à revers, par la mort de proches que nous aimions. 

Et bien sûr, lorsque nous entendons ce que le jeune homme dit, nous savons que ses paroles sont parmi les plus importantes que nous ayons jamais entendues. Mais ont-elles coulé en surface, ou ont-elles atteint le coeur de nos alarmes, et nous ont-elles conduits  sur de nouveaux chemins ?

Nous avons aussi besoin, à Pâques, de cette version-là de l’histoire. Nous avons besoin de temps – comme les femmes du récit de Marc en ont eu besoin – pour nous asseoir, avec la confusion et l’étonnement qui nous envahissent ; oui, l’œuvre de la libération de Dieu percute en temps réel, les habitudes bien organisées de nos vies ; elle percute les questions et doutes qui nous servent d’alibi pour ne pas dépasser nos limites, lorsque la parole de vie surgit. Nous n’avons pas la capacité de crier la bonne nouvelle tout de suite. Parfois nous devons commencer par nous la chuchoter.

C’est ainsi que commence la vie de Dieu en nous. Comme une vie cachée, mais tenace, dynamique et sûre. Elle peut prendre du temps pour émerger et s’épanouir. Comme une graine enfouie qui se transforme lentement, avant qu’une jeune pousse apparaisse.

Chaque récit évangélique de la résurrection nous dit que l’événement le plus important de l’histoire s’est produit dans l’obscurité totale. Aucun soleil n’a éclairé l’événement. Aucun être humain n’en a été témoin. Il y a 2000 ans, à l’aube d’un dimanche matin, un grand mystère s’est révélé discrètement. Et jusqu’à aujourd’hui, aucun récit humain ne peut le contenir. La résurrection dépasse toutes nos tentatives pour la cerner, car c’est un mystère connu uniquement de Dieu. L’accomplissement de la résurrection demeure dans les ténèbres, à l’abri de nos yeux. Tout ce que nous pouvons savoir, c’est que, dans une tombe d’autrefois, Dieu a travaillé en secret pour faire sortir la vie de la mort. D’une manière ou d’une autre, du cœur de la perte et de la misère, Dieu a opéré le salut. (pr DThomas)

Quant à lui, le récit de Marc ne se précipite pas. Il honore le mystère. Il est patient, et accepte les phases humaines de la progression psychologique et spirituelle. Il ne fait pas pression, il accueille les blessures qui ont besoin de cicatriser. Il respecte le silence qui marque la résistance intérieure devant une annonce trop percutante pour être digérée en quelques minutes. Marc est sensible à ce besoin d’attendre avant de parler ; il assume que les femmes se sont d’abord tues, le temps nécessaire, avant d’oser parler.

Ainsi la courte histoire de Marc nous permet d’accepter nos points limites, là où nous en sommes actuellement, et notre besoin de temps quant à nos cheminements, dans bien des domaines de notre existence. C’est la façon pour Marc de nous dire que nous ne sommes pas responsables de Pâques, Dieu l’est. Le tombeau est ouvert, la mort est vaincue, Jésus vit et marche devant, quelque part. Entre la mort et la vie, il y a un écart que nos performances ne pourront jamais franchir. Notre perception de cette puissance de vie restera partielle dans ce monde, jusqu’à la réalisation de la promesse donnée par Jésus. Notre point d’accroche sont les paroles du jeune homme, rappelant celles de Jésus.

Et cela permettra de parler, progressivement, comme les autres Évangiles en témoignent. Le silence des femmes a finalement cédé la place à la proclamation. Elles ont accepté de franchir leur point limite, en apprenant l’espérance. La brève histoire de Marc a toute sa place dans l’aventure de la résurrection, offrant à celles et ceux qui sont bloqués sur une frontière, d’attendre que la lumière se fasse et se stabilise un peu, au temps voulu par Dieu. Rien ne sera perdu, même si encore aujourd’hui, la bonne nouvelle de la résurrection demeure un cap difficile. Christ nous attend, sur la route.

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