^{Esaïe 45, 22-24      Luc 19, 1 à 10}

Fin octobre, les Evangelische Kirchen et les Eglises réformées célèbrent un événement qui a marqué les esprits, à savoir l’affichage de 95 thèses par Martin Luther qui mettent en cause la doctrine des indulgences telle que propagée à l’époque. Cette volonté de faire connaître à tout le peuple les enjeux de la vente des indulgences, est l’expression phare d’une caractéristique des protestants, qui se rencontre pour de nombreux autres sujets. Les débats théologiques ne sont pas réservés aux évêques et autres pasteurs. Toute personne intéressée peut obtenir les éclaircissements dont elle a besoin pour vivre sa foi. Aucun rituel n’est interdit à un chrétien, parce qu’il serait réservé à une caste supérieure qu’on appelle ministère ou prêtrise, ce qui est exprimé par le sacerdoce universel.

Luther n’a pas basculé du jour au lendemain dans un conflit ouvert avec ses supérieurs. C’est une progressive prise de conscience des conséquences pour l’Eglise de sa rencontre avec le Dieu juge qui justifie au lieu de condamner, qui va le conduire à dénoncer certaines dérives dans l’interprétation des Ecritures, puis mettre en lumière les conceptions erronées du pardon de Dieu telles qu’elles sont mises en oeuvre dans la vente des indulgences. Cela conduira les Réformateurs à reprendre une habitude du judaïsme, à savoir promouvoir la lecture de la Bible par tous, adultes et enfants, hommes et femmes. Car avec la lecture, il s’agit d’encourager aussi la raison, la capacité à réfléchir sur les textes, pour ouvrir au débat sur l’interprétation du texte, et à des prises de conscience de la diversité des Ecritures, à l’image de la diversité des cultures humaines.

Cette liberté offerte largement va exploser et déborder les Réformateurs à un point tel qu’ils vont, en certaines situations, montrer leurs limites humaines. Luther va soutenir la répression des paysans, Zwingli la répression de ceux qui condamnaient le baptême des enfants, et Calvin n’a pas empêché la condamnation de Michel Servet parce qu’il remettait en cause la doctrine de la trinité. Or, toutes ces personnes, les « pour » comme les « contre », s’appuyaient sur leur propre interprétation de la Bible. 

Cela nous questionne donc : face à diverses interprétations d’un texte, tout est-il également vrai ? c’est une question brûlante d’actualité, face à la multiplication des manipulations d’images, des fausses nouvelles, des actions violentes pour une idée. Quel critère permet alors de dire la vérité d’un événement ou d’une parole ? Le débat risque d’être long, parce qu’il y a tellement d’exemples et de situations qui apportent de nouvelles ouvertures. 

Pour ne rester que sur la lecture des Ecritures, nous voyons bien le résultat des interprétations divergentes sur tel ou tel texte, qui aboutit à des divisions lorsque l’égo (certitude) des uns ferme tout dialogue avec l’égo (certitude) des autres, et réciproquement – se soumettre ou se démettre, c’était le choix de Luther. Ce n’est pas nouveau, puisque Jésus lui-même en fait les frais, puis les apôtres se sont divisés aussi, puis les Eglises judaïsantes d’avec les paganisantes, puis sur l’interprétation de la divinité de Jésus, et jusqu’à nos jours. Heureusement que la plupart du temps, l’interprétation diversifiée des textes bibliques permet d’élargir nos regards plutôt que d’enfermer dans une monolecture au service d’un clan ou d’une idéologie.

Regardez ce qui se passe dans cette rencontre insolite racontée par Luc, lorsque Jésus traverse Jéricho. L’histoire de Zachée est aussi bien connue que la nativité, ou la parobole du fils prodigue. On se souvient qu’il est petit, et qu’il doit grimper dans un arbre pour voir pardessus la foule. Luc prend soin de mettre plein de constraste dans le récit, contribuant au charme de l’hsitoire comme aussi à la conclusion prononcée par Jésus. Le nom de Zachée, Zakaï, signifie « le juste ». Le Juste ! quelle ironie, non ? Luc le décrit comme le genre de personne que nous aimons détester. Car Le Juste est péager, il prend les taxes au passage des gens et des marchandises, pour les occupants romains. Le Juste est donc un traître à la cause politique, et les pharisiens les dénoncent comme voleurs et hors-la-loi. Le Juste est même un chef des péagers: Il contrôle la société des péages de Jéricho et rend compte au tribun romain. Luc ajoute que Le Juste est riche. Est-ce une surprise, comment un péager romain devient-il riche ? En profitant des personnes âgées, en exploitant les travailleurs, et protégeant sa corporation. Par extorsion et détournement de fonds. « Tout le monde sait » qu’un péager vit de corruption, non? Qui peut donc aimer Le Juste ? Normal que la foule agglutinée ne le laisse pas venir au premier rang ! pour une fois qu’on peut le contrer sans risquer la police ! 

Et c’est même bien fait pour lui, le petit Juste ! Luc nous dit qu’il fait alors quelque chose de vraiment incongru, complètement insensé pour un chef. Il court devant tout le monde, et se hisse dans un arbre, là où Jésus va passer. Il ne peut donc être repoussé, même s’il est moqué. Lorsque Jésus arrive et il lève les yeux comme pour la prière, et… s’adresse à Le Juste pour lui dire qu’il lui faut demeurer dans sa maison. Vous imaginez le scandale ? On ferait grève pour moins que ça ! Les gens grommèlent, comme autrefois dans le désert, Israël maugrée contre Moïse.

Mais Luc revient ici sur l’un de ses thèmes majeurs, à savoir Jésus « accueille les pécheurs » (15:2), il ne les rejette pas. Il mange souvent chez les publicains. Alors l’histoire de Le Juste se termine par cette conclusion : « le fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui est perdu ». Les péagers incarnent sa mission pour les perdus-et-trouvés. Et comme Le Juste dit qu’il donne la moitié de ses biens aux pauvres, tout semble rentrer dans l’ordre – mais l’ordre de qui ? des pharisiens ?

Et si le texte disait autre aussi chose ? Car comme pour Luther et Ro 1.17, il y a une autre façon de lire cette histoire dans laquelle Le Juste n’est pas un pécheur qui se convertit, mais un saint qui surprend. Il ne fait pas de promesses sur l’avenir, à savoir donner ses biens et rembourser demain; il présente plutôt ce qui est déjà en cours. Cette interprétation dépend de la façon dont vous traduisez le v8, en particulier les verbes qui, en grec, sont au présent. C’est un bon exemple de l’interaction entre la traduction et l’interprétation, et dans ce cas, il n’y a pas une seule « bonne » réponse. Ce que la tradition a compris – et que nos traductions interprètent (PDV, FC), c’est de rendre les verbes au présent comme un « présent qui vient ». C’est-à-dire que Zachée le pécheur se repent et jure que dorénavant il fera restitution (il va donner). 

L’autre option garde les verbes au présent. Dans cette lecture, Zachée est un Juste caché, à propos duquel les gens ont fait toutes sortes de fausses suppositions, puisqu’il travaille pour les Romains, sa corruption est absolument évidente ! Et l’on peut donc comprendre : « Seigneur, j’ai toujours donné la moitié de ma richesse aux pauvres, et chaque fois que je découvre une fraude ou une anomalie, je fais toujours une restitution au quadruple. »

La foule avait diabolisé Zachée-Le-Juste comme un tricheur fiscal. Jésus le loue comme un fils d’Abraham, et le révèle dans sa relation de Juste – comme Abram justifié par sa confiance en la parole donnée par Dieu. Et lorsque Jésus précise encore que : Aujourd’hui le salut est venu pour cette maison, ce n’est pas seulement pour l’affirmation d’une conversion – comme le dit la tradition, mais avant tout pour la manifestation de la vérité d’une vie juste déjà en cours, la prise en compte d’une vie juste, malgré les difficultés inhérentes au métier choisi.

Cette 2e interprétation permet aussi de reconnaître que Zachée ne va pas changer de métier, et que Jésus ne le lui demande pas. D’ailleurs Jésus l’ami des publicains, va plus souvent partager les repas des péagers que des pharisiens ! En fin de compte, cette interprétation demande plus d’attention, et surtout d’oser remettre en cause une tradition majoritaire, une vision du bien et du mal dans le monde qui arrange trop facilement la vérité au profit de quelques dominants. Puisse l’Esprit du Seigneur nous ouvrir à son regard en toute situation. amen

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