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28/02/2021 : Genèse – Abraham voyant
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Prédication du 28/02/2021 par le pasteur Marc LABARTHE
Après ces événements, il arriva que Dieu mit Abraham à l’épreuve. Il lui dit : «Abraham» ; il répondit : «Me voici. » Il reprit : « Prends ton fils, ton unique, Isaac, que tu aimes. Pars pour toi vers le pays de Moriyya et là, monte-le en montée sur celle des montagnes que je t’indiquerai. » Abraham se leva de bon matin, sangla son âne, prit avec lui deux de ses jeunes gens et son fils Isaac. Il fendit les bûches de montée. Il partit pour le lieu que Dieu lui avait indiqué. Le troisième jour, il leva les yeux et vit de loin ce lieu. Abraham dit aux jeunes gens : « Demeurez ici, vous, avec l’âne ; moi et le jeune homme, nous irons là-bas pour nous prosterner, puis nous reviendrons vers vous. »
Abraham prit les bûches de montée et en chargea son fils Isaac ; il prit en main la pierre à feu et le couteau, et tous deux s’en allèrent ensemble. Isaac parla à son père Abraham : « Mon père », dit-il, et Abraham répondit : « Me voici, mon fils. » Il reprit : « Voici le feu et les bûches ; où est l’agneau de la montée ? » Abraham répondit : « Dieu saura voir l’agneau de la montée, mon fils. » Tous deux continuèrent à aller ensemble.
Lorsqu’ils furent arrivés au lieu que Dieu lui avait indiqué, Abraham y éleva un autel et disposa les bûches. Il lia son fils Isaac et le mit sur l’autel au-dessus des bûches. Abraham tendit la main pour prendre le couteau et immoler son fils. Alors l’ange du SEIGNEUR l’appela du ciel et cria : «Abraham ! Abraham !» Il répondit : « Me voici. » Il reprit : «N’étends pas la main sur le jeune homme. Ne lui fais rien, car maintenant je sais que tu crains Dieu, toi qui n’as pas épargné ton fils unique pour moi.» Abraham leva les yeux, il regarda, et voici qu’un bélier était pris par les cornes dans un fourré. Il alla le prendre pour le monter en montée à la place de son fils. Abraham nomma ce lieu « le SEIGNEUR voit » ; aussi dit-on aujourd’hui : « C’est sur la montagne que le SEIGNEUR est vu.»
L’ange du SEIGNEUR appela Abraham du ciel une seconde fois et dit : « Je le jure par moi-même, oracle du SEIGNEUR. Parce que tu as fait cela et n’as pas épargné ton fils unique, je m’engage à te bénir, et à faire proliférer ta descendance autant que les étoiles du ciel et le sable au bord de la mer. Ta descendance occupera la Porte de ses ennemis ; c’est en elle que se béniront toutes les nations de la terre parce que tu as écouté ma voix. »
Comment appelez-vous cette histoire ? Abraham sacrifiant, le sacrifice d’Abraham, ou encore le sacrifice d’Isaac ? ces titres nous font jouer sur le sens du mot sacrifice en français, qui désigne celui qui sacrifie et celui qui est sacrifié. Alors faut-il se tourner vers son titre juif, la ligature d’Isaac ? En général, un titre cherche à dire le coeur de l’histoire; quel est donc le point central de cette narration, que cherche-t-elle à nous dire ?
Quant on la réécoute, cette histoire nous déroute aujourd’hui ! combien elle semble totalement hors course pour nous aider à expliquer que Dieu aime les humains ! Avec ce texte certains cherchent à justifier certaines pratiques de nos églises – comme l’idée du sacrifice de Jésus, quitte à dire le contraire de l’Evangile à ce sujet, ou d’autres font de l’histoire ancienne, pour dénoncer le sacrifice des enfants qui avaient lieu au temps d’Abraham, et qui perdure avec leur exploitation économique.
La relation père-fils est un autre sujet qui traverse le passage, mais l’écrivain veut nous entraîner dans le même changement de regard qu’Abraham a vécu entre le début et la fin de ce voyage.
Car vous le savez bien, cette nouvelle sortie d’Abraham de chez lui pour vagabonder vers une montagne, se déroule maintenant avec son fils—le prolongement de lui-même et de ses désirs, la continuité de ses rêves ; son unique— oui mais non, pas tout à fait fait, Isamël ; son bien-aimé — sûr ! bien plus que l’autre; son Isaac — c’est son nom ! il sourit à la vie devant lui ; avec Isaac, Abraham doit partir pour lui-même, et monter sur une montagne en vue d’une « montée », qui est le même mot que sacrifice.
Le texte joue sur la dualité de cette expression. Et Abraham est mis face à ses illusions sur Dieu, qui emprisonnent sa vie et empoisonnent son regard, avant qu’il ne soit repris par le messager du Seigneur. Ce messager l’empêche d’accomplir le geste mortel d’égorger son fils ou d’arracher son coeur. Et ce messager se permet de répéter les mêmes bénédictions qu’au ch.12 de la Gn, qui raconte l’appel d’Abram, à quitter son père et sa famille pour lui- même, et d’aller vers un autre pays. La saga d’Abraham se termine ici.
Dans notre ch.22, au début, c’est la divinité -Elohim- qui met Abraham à l’épreuve. A la fin, c’est le Seigneur, le tetragramme qui rappelle les bénédictions premières. Entre les 2, Abraham va tâtonner, se tromper. Au début, la divinité éprouve Abraham à propos de son fils chéri. Il a mit tous ses espoirs d’héritage, d’avenir, en lui. A la fin, le messager constate qu’Abraham est encore prisonnier de la divinité (tu crains Dieu), tout en s’appropriant le fils chéri qu’Abraham s’apprêtait à tuer (pour moi tu n’as pas épargné ton fils).
Ce qui se passe durant ces 3 jours, ces 3 siècles ? c’est la lente ascension vers une nouvelle rencontre, une nouvelle libération. Abraham est plongé dans l’ambiguité tout au long de ce voyage. Il garde une confiance aveugle en Dieu, et cela le conduit à écraser son fils avec le bois et à finir par le lier – la divinité, quelle qu’elle soit pour nous aujourd’hui, a tous les droits, écraser, enfermer(confiner), lier et tuer la jeunesse qui interroge sur son avenir. Abraham porte le feu et le couteau, il a le savoir des rituels de vie et de mort, et il enferme son fils dans un discours mystique – Dieu sait, Dieu pourvoit, Dieu guérit, Dieu…Dieu… et son obsession lui fait brûler son propre héritage, et ôter la vie à ce qu’il a de plus cher. Qui est donc ce dieu-là ? Quels fantasmes suscite-il dans nos propres discours actuels, que ce soit dans nos églises ou dans le social ou dans le politique ? Au nom de qui ou de quoi prône-t-on d’aller sacrifier ce qui doit assurer notre avenir ?
Cette montée éclaire l’image de l’autorité ultime que chacun se donne, dans son existence et dans sa conception de la vie ; autorité incontestable d’un Dieu, d’un Etat, d’une Institution, d’une République populaire ou démocratique. Lire attentivement cette histoire, interroge nos certitudes, nos dogmes, nos traditions, nos héritages, nos idéologies de tous bords, et par là, notre façon d’investir la société ou nos églises.
Ce qui est remarquable, c’est que le messager du Seigneur, ne parle aucunement de la montée ou sacrifice, lorsqu’il intervient. Ce mot ne fait pas partie de son langage, de son identité. Cela devrait nous rendre attentif. Et Abraham le comprend enfin, puisque lui-même ne va pas nommer ce lieu par la notion d’un sacrifice, mais tout à fait autrement. Notez le bien : il dit le Seigneur verra, non pas Dieu-elohim, mais le tétragramme, car aujourd’hui encore, le Seigneur sera vu sur la montagne.
Je verrai bien qu’un jour, nos bibles renomment cette histoire à partir de cette vision renouvelée d’Abraham, sur le Seigneur, d’abord, et sur son fils, et non plus en perpétuant son erreur d’aller sacrifier son fils. Dieu nous fait monter pour redresser nos regards tordus, pour voir comme lui voit, pour laisser partir le fils vers sa vie. Amen