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250622-Marc6v33-s’écarter vers l’intime
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prédication donnée à Livron - centre Enjalbert
Jésus pensait-il faire une entrée triomphale dans son village de Nazareth ? Il revenait auréolé de rumeurs qui l’ont précédé, et surtout, avec une flopée d’admirateurs (followers=suiveurs), parmi lesquels il s’était choisi 12 apôtres : des envoyés — comme lui finalement, qui a compris qu’il était l’envoyé de Dieu, le fils de l’homme porteur d’un message, d’un évangile à donner et vivre largement autour de lui. Et sa mission consiste aussi d’assurer que cet évangile soit compris et transmis plus loin, jusqu’aux confins de la terre.
Après son relatif échec à domicile, il envoie ses 12 apôtres en mission. Deux par deux, ils ont enseigné ; ils ont guéri ; ils ont chassé des démons. Ils ont même enchaîné les onctions d’huile. Tout un programme prévu par leur cahier des charges. Jésus leur avait dit : Vous ne prendrez rien avec vous. Ni pain, ni sac, ni monnaie. Un seul vêtement et un bâton. Voyager léger !
Ce passage nous enseigne plusieurs choses. Déjà, c’est qu’il faut aller à la rencontre des autres, sans rien, sans protection, sans sécurité. Être disciple de Jésus, c’est s’exposer sans artifice. S’exposer aux autres, au monde sans le manipuler. Et avoir besoin d’autrui pour vivre; ce qui signifie établir une relation de confiance avec les interlocuteurs, autant que possible.
Ensuite, les envoyés partent avec ce qu’ils sont, et ce je ne sais quoi qui les habite. Ils ont découvert en Jésus un être inhabituel, étonnant, plein de force et de conviction; exigeant sans être fanatique; au service de tous ; en vivant quelque temps avec lui, il ont bénéficié de quelques enseignements, qu’on peut relire dans les chap. précédents de l’Ev.
Les disciples sont ainsi partis avec la force qu’ils avaient acquise et reçue. On les retrouve à leur retour. Les voilà qui font leur rapport à Jésus. C’est leur mémoire de stage, avec les meilleurs moments et d’autres plus difficiles, à énumérer par le détail auprès du maître. Ils racontèrent tout ce qu’ils avaient fait et tout ce qu’ils avaient enseigné, écrit l’Evangéliste. Jésus écoute, il prend le temps du retour d’expérience et de la pratique avec eux. Il sait aussi ce qu’il en coûte que de s’exposer ainsi au monde, alors il les invite à un temps de retrait. Un temps de mise à l’écart, qui aurait aussi pu tourner en un temps de repos.
Mais pour le repos, c’est raté, nous annonce aussitôt le texte. Jésus propose une croisière tranquille en barque, mais c’est comme s’il les avait mené en bateau — dans les 2 sens du terme… car la foule est nombreuse, les gens allaient et venaient dans tous les sens, ils font tout pour que le plan de Jésus échoue… et ils y arrivent au départ et à l’arrivée. Dès le retour des apôtres, par leurs allées et venues, ces gens-là les empêchent même de manger.
C’est la 2e fois que Mc souligne ce fait (3.20+6.31), d’un jeûne imposé par l’urgence de la foule omni-pressante. Et cette pression des foules se poursuit jusque dans le lieu de la retraite promise, où elle se trouve déjà installée à l’arrivée du groupe de retraitants, afin d’obtenir ce dont elle a besoin.
Les disciples sont ainsi exposés jusque dans leurs retranchements les plus vitaux, aux besoins de ce monde vers lequel Jésus les a envoyés partager l’Evangile. Bien sûr, ils découvrent la joie de la mission qui porte des fruits, mais ce faisant, ils libèrent l’attente jamais rassasiée des foules ; elles viennent dévorer ce qu’elles peuvent auprès du maître, là où il est joignable, jusqu’en ces lieux supposés de retraite et de repos. Le monde, comme un troupeau sans berger, a soif et faim, il tourne dans tous les sens, il accapare sans vergogne jusqu’au repos soi-disant mérité des apôtres et de Jésus.
Le apôtres sont remplis d’énergie et d’envie de répondre aux demandes de Jésus. Et là, ils découvrent qu’il faut vraiment être résistant à bien autre chose que la polémique religieuse, pour suivre Jésus : pas de repas ; pas de repos ; pas de répits. Certains sont frustrés bien avant ça, et abandonnent la communauté. C’est une question ancienne, et qui est d’actualité, reprise avec un vocable moderne : le burnout, l’épuisement global. Nous sommes tous guettés par le danger d’être ainsi consumés et consommés, usés et abusés.
Jésus tente quelque chose pour ses disciples, pour tenir le coup, pour enchaîner sans donner l’impression de l’être. Il dit selon Mc : Venez vous-mêmes à l’écart, vers un lieu désert, et reposez-vous un peu. L’expression à l’écart, est difficile à rendre, et c’est en rapport avec la notion de désert qu’on traduit écart. Mais l’expression en grec —kat’idian— désigne ce qui nous appartient en propre. Ce qui est à l’écart, c’est donc cet espace intime, privé, rien qu’à soi. On pourrait alors traduire l’invitation de Jésus en ces mots : Venez vers votre intime, dans un endroit isolé, pour vous reposer un moment. Ou encore : Venez dans un endroit isolé, pour vous reposer un moment, en vis-à-vis, en tête-à-tête.
L’écart, c’est ce lieu sans lieu où je suis décentré de mon activité extérieure, de mon agitation dans le monde. Les disciples venaient d’énumérer à Jésus tout ce qu’ils avaient fait, ils avaient parlé d’eux-mêmes ; et les foules encore présentes, aspiraient tout ce qu’elles pouvaient d’eux. Jésus leur demande d’aller en leur for privé, dans le lieu désert, y trouver le repos. Jésus les enjoint à venir avec lui, de faire un écart, de retrouver leur point d’équilibre ou d’ancrage intérieur. Avec lui, se dérouter dans un lieu désert, tel que la barque, se laissant porter par les flots, au rythme tranquille du vent ou des rames. Jésus a fait silence après quelques paroles, les disciples aussi, certainement. Ils ont ainsi rétabli le lien avec leur être profond, avec l’Esprit de Vie, le Souffle divin. Jésus, habitué à le faire, a été capable de nourrir la foule d’Evangile, de pains et de poissons, sur l’autre rive.
Apprenons à vivre ces écartades vers le désert, vers notre intime, pour l’habiter tout à nouveau, reprendre pied dans notre identité, et nous laisser remettre debout par le Seigneur qui s’y tient constamment, auprès de nous. Amen