Psaume 90
La mort nous interpelle. Elle change fondamentalement nos vies. Le conjoint, la mère, l’enfant, le frère ou l’ami – nous manquent. Le vide qu’ils laissent est palpable et visible. La douleur nous accompagne – parfois doucement, mais parfois aussi de manière oppressante. La mort n’est pas que soulagement, elle peut nous submerger. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles nous la chassons de nos pensées et de notre vie publique, fidèles à l’adage : loin des yeux loin du coeur.
Aujourd’hui, ce Ps nous fera progresser en 4 étapes. Il prend des jumelles et une loupe pour mettre en contraste le Dieu d’éternité et la fugacité humaine. Puis il prend des lunettes et à nouveau les jumelles, pour corriger notre vision autant sur notre humanité que sur l’éternité.
1—Un regard en arrière – Dieu de l’éternité (jumelles)
Seigneur, toi, tu as été pour nous un refuge, de génération en génération. Avant que les montagnes soient nées, et que tu aies donné le jour à la terre et au monde, depuis toujours et pour toujours tu es Dieu…. Car mille ans sont, à tes yeux, comme le jour d’hier, quand il passe, et comme une veille de la nuit. (v1b; 2; 4)
Les montagnes sont synonymes de stabilité et d’immuabilité. Pourtant notre Ps renverse le tableau. Ce ne sont pas les montagnes qui sont éternellement fiables, mais plutôt Celui qui les a créées. Le Ps nous projette en arrière, avant le temps : la création émerge de Dieu comme un travail d’accouchement. Elle a un commencement, tandis que son Créateur est sans commencement ni fin, il est Dieu de toute éternité. C’est pourquoi les juifs et les chrétiens ont souvent traduit le nom de Dieu par « ÉTERNEL » dans l’AT.
L’ETERNEL debout au-dessus de l’espace et du temps – c’est incompréhensible pour nous, créatures soumises à l’espace et au temps. Il nous est difficile de penser l’éternité. Car éternel n’est pas à confondre avec intemporel, que l’on accole par exemple aux meubles design/vintage. On ne peut pas réduire l’éternité à ce temps infiniment long de l’attente du bus – ou fin du culte ! L’éternité n’est pas l’addition des jours d’un calendrier jusqu’à n+1. L’éternité représente la vie en abondance. Et cette abondance ne veut pas dire quantité, mais qualité.
Ce n’est que parce que Dieu lui-même est vie qu’il peut donner vie à tout ce qui est créé. Il n’y a pas de vie en dehors de Dieu. C’est pourquoi le poète recommande que nous choisissions Dieu comme refuge ou résidence. Celui qui recherche la plénitude et la qualité de vie fait bien de rechercher la proximité de Dieu, de rester avec lui, et même de s’établir en lui. Trouver sa demeure en Dieu et participer à sa vie éternelle n’est pas seulement le destin originel pour nous les humains, mais c’est aussi l’avenir qui définit la foi chrétienne, et qui trouve son expression visible dans l’obéissance au Christ : Dès que quelqu’un est uni au Christ, il est création nouvelle (2 Cor. 5:17), nous dit Paul.
Le Ps confie : tu as été pour nous un refuge. Il ne s’agit pas de n’importe quel endroit, mais d’un lieu de protection, où nous trouvons sécurité et soins – où quelqu’un est là, où nous sommes attendus et non laissés à nous-mêmes, de génération en génération. Partant de cette perspective lointaine de l’éternité de Dieu, le psalmiste scrute alors la réalité qu’il a vécue :
2 — Examiner de plus près la fugacité humaine (loupe)
[Dieu,]Tu fais retourner l’homme à la poussière, il passe comme l’herbe : elle fleurit au matin et elle passe, on la coupe le soir, et elle se dessèche. Tous nos jours déclinent à cause de ton courroux ; nous achevons nos années comme un murmure. La durée de nos jours s’élève à soixante-dix ans ; pour les plus vigoureux, à quatre-vingts ans, et leur agitation n’est qu’oppression et mal, et cela passe vite, et nous nous envolons. (v3a; 5b; 6; 9 + 10)
Entre les repères que sont la naissance et la mort, se produit tout ce que nous appelons la vie. Notre conception du temps est basée sur la durée d’une vie humaine, soit environ 80 ans. Lorsqu’on est jeune, cela peut sembler long. Nous avons devant nous tout ce que nous voulons voir, essayer et expérimenter. Mais quand on prend de l’âge, ou que l’on repense à la vie d’une personne décédée, nous pouvons nous sentir comme le psalmiste : c’est passé trop vite, c’est déjà fini. Les années se sont envolées.
Rien n’est aussi certain que la mort pour nous tous. Nous ne sommes pas éternels, nous sommes finis. Le Ps donne l’image de l’herbe qui fleurit le matin et se flétrit le soir; comme les arbres en ce moment qui perdent leurs feuilles. Ces images nous montrent nos vies en mouvement rapide. La vie est si courte : comme le petit trait d’union posé entre le jour de la naissance et le jour de la mort, comme un courant d’air froid qui passe et s’efface imperceptiblement. Le Ps semble réduire la vie aux difficultés et à l’impuissance. Il met l’accent sur la fugacité de notre existence, au risque d’en déprimer !
Mais c’est alors qu’il place une charnière qui permet d’ouvrir une porte sur un autre chemin qui vient corriger notre vision.
3 — Vivre de la fin avec un œil aiguisé (lunettes)
Enseigne-nous à bien compter nos jours, que nous conduisions notre cœur avec sagesse.(v12)
La 1e correction, c’est ne pas supprimer la mort, ne pas cacher la mort, mais l’inclure dans la vie en y pensant. Et la 2e, c’est accepter de ne pas contrôler le moment de sa propre mort, mais plutôt se confier à Dieu dans la vie et dans la mort. Voilà ce que le Ps nous demande de faire.
Qui d’autre que l’ETERNEL-Dieu, lui qui est la vie même, pourrait mieux savoir comment nos vies peuvent réussir ? La prière enseigne-nous est l’aveu que nous sommes perturbés par notre mort. Et en même temps c’est la prière d’une profonde confiance en ce Dieu éternel et immortel. Comme l’exprime le chant que nous prendrons tout à l’heure : Prends mon âme, prends-là Seigneur ! Vers toi je crie la nuit, le jour, entends ma plainte, calme ma crainte. 44/14
Conduire son coeur avec sagesse, c’est apprendre à reconnaître que nous sommes de passage, notre finitude, et ainsi faire ce qui compte vraiment, ce qui va rester et perdurer. C’est considérer chaque jour qu’il nous reste à vivre comme précieux, et ne pas remettre les choses importantes à plus tard. C’est une sagesse que l’on n’apprend pas à l’école et encore moins derrière son écran.
Nous avons besoin de corriger notre vision de la vie, grâce à Dieu. Il nous apprend à distinguer l’essentiel de l’insignifiant et à nous fier à ce qui a une valeur éternelle et moins perdre notre temps dans le futile. D’où le nouveau regard porté vers l’éternité à venir :
4 — Un regard vers l’avenir – Dieu pour toute l’éternité (jumelles)
Ce qui a une valeur éternelle nous rappelle le début du Ps, disant : Seigneur, toi, tu as été pour nous un refuge, de génération en génération, tu es Dieu pour toujours (v1b, 2b).
Lorsque nous assumons le regard sur nos limites pour les réfugier dans les possibilités de Dieu, alors pointe l’espérance : elle a sa demeure dans le Dieu éternel, loin de notre mortalité et de l’impermanence de notre vie. Et cette espérance, présente au début du Ps, vient le clore avec ces mots :
la beauté du Seigneur, notre Dieu, est sur nous: Affermis pour nous l’œuvre de nos mains, oui, affermis l’œuvre de nos mains. (v17)
Lorsque nous demeurons en Dieu et que sa vie éternelle s’exprime dans notre finitude et nos limites, alors notre travail —normal et ardu que nous accomplissons ici et maintenant— ne sera pas inutile et vain; car le travail éphémère de nos mains, en particulier l’amour, la justice et le service aux autres, dureront pour toujours. C’est une espérance qui va bien au-delà des Psaumes et nous plonge dans le Nouveau Testament vers Jésus-Christ.
Lui, l’Éternel Dieu est devenu un homme mortel. Quand il est mort, il semblait clair que l’inévitable ennemi, la mort, avait également vaincu le Dieu éternel. Mais au milieu de la mort, Dieu a renversé l’équilibre des pouvoirs : au coeur du temps limité et fragile de la création mortelle, commence la nouvelle création de la vie éternelle. Pâques est l’histoire de la victoire sur la mort.
Au bout de la vie, la mort n’est pas la seule à nous attendre, car Jésus-Christ sera aussi là. En demeurant en lui, nous, mortels, nous participons déjà à la vie divine. Nous voyons cette réalité en espérance(1 Cor. 13:12), mais cette espérance fortifie l’oeuvre de nos mains, et elle nous remplit déjà de la beauté et de la joie du Dieu d’éternité.
Alléluia et amen !