14/11/2021 : Synode régional avec E. Cuvillier – Veillez !

Prédication du 17/06/2023 par le pasteur Marc LABARTHE

Prédication culte synode CAR (Annecy) Dimanche 14 novembre 2021 Prédicateur : Elian Cuvillier 

Mc 13,24-37 

24En ces jours-là, après une pareille détresse, le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa clarté, 25les étoiles tomberont des cieux, et les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées.
26Alors on verra le Fils de l’homme venir dans les nuées, dans toute sa puissance et sa gloire. 27fl enverra les anges pour rassembler ceux qu’il a choisis des quatre coins du monde, de l’extrémité de la terre jusqu’à l’extrémité des cieux.
28Laissez-vous instruire par la parabole tirée dufiguier : dès que ses branches deviennent tendres et que ses feuilles poussent, vous savez que l’été est proche. 29 De même vous aussi, quand vous verrez ces événements arriver, sachez que le Fils de l’homme est proche, à votre porte.
30Je vous le déclare, c’est la vérité: cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive. 31 Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. 

33 Prenez garde, restez éveillés. Car vous ne savez pas quand est le moment. 34C’est comme un homme parti en voyage: il laisse sa maison, donne l’autorité à ses serviteurs, à chacun son agir et il ordonne au portier de veiller. 35Veillez donc car vous ne savez pas quand vient le seigneur de la maison. Le soir, au milieu de la nuit, au chant du coq, le matin. 36Étant venu qu’il ne vous trouve pas endormis.  37 Ce que je dis, je le dis à tous, veillez ! 

Dérèglement climatique, surexploitation de la planète, épuisement des ressources, catastrophes écologiques à répétition – comme si la nature se révoltait contre les agresseurs que nous sommes -, crainte pour la survie même de l’espèce humaine. Le constat est alarmant. Et, en ces temps d’angoisse que nous traversons, ce texte résonne à nos oreilles d’une façon toute particulière et malheureusement pas dans le sens d’une réassurance, d’une confiance à retrouver ! D’autant que le passage qui était proposé à notre lecture de ce dimanche s’arrête au v. 32 : « Le ciel et la terre passeront». Comme une menace que même l’affirmation selon laquelle les paroles du Christ ne passeront pas n’est en capacité de contrebalancer : nous y tenons à notre ciel et à notre terre ! 

L’exhortation qui suit, prolongement de la lecture de ce jour que j’ai souhaité ajouté, se présente comme la conclusion de ce long discours de Jésus (Mc 13) répondant à une question des disciples : quand viendra la fin ? Comme nous, ils voudraient bien savoir. Être au bénéfice de quelques renseignements utiles pour prendre leurs précautions, si c’est encore possible. Or, voilà qu’au terme d’un propos en trompe l’œil où Jésus n’a rien dit de précis – relisez-le et vous n’y verrez aucune réponse claire à la question des disciples -, il termine par cette exhortation sur laquelle je voudrais m’arrêter un instant. 

Elle est constituée d’une injonction à la veille (v. 33), puis de la parabole de l’homme parti en voyage (v. 34-36), et se termine par une nouvelle injonction à veiller au (v. 37). 

Commençons par la première injonction, celle du v. 33 : « Prenez garde, restez éveillés. Car vous ne savez pas quand est le moment. » Littéralement, « vous ne voyez pas : le terme que nous traduisons par « savoir » a pour racine, en grec, le verbe « voir ». Ce moment, vous ne pouvez ni le voir ni, a fortiori, le «pré-voir». Car ce n’est pas du chronos dont il est question, c’est-à-dire d’un temps chronologique, celui qu’on constate sur une montre ou auquel on se prépare en regardant son agenda, mais bien du kairos, un « moment » qui ne se calcule pas, qui ne se prévoit pas mais qui fait irruption de façon imprévisible, donc non programmable par un algorithme, ni annoncé par les prévisionnistes, les techniciens, et autres économistes ou hommes politiques, n’en déplaise aux futurs candidats à la présidence qui vont nous faire des promesses de lendemains forcément nouveaux et différents. 

Deuxième moment, la parabole de l’ homme parti en voyage et qui, avant de s’en aller, fait quatre choses : il« laisse» sa maison; il« donne» l’autorité à ses serviteurs ; il donne à chacun son « agir » ; enfin il « ordonne » au portier de veiller. Déplions. 

1. Il laisse sa maison. Dit autrement, il se retire. Le Seigneur nous a laissés la création et il est parti, il s’est retiré. Le fameux tsimtsoum du Dieu créateur dans le judaïsme, ce Dieu qui se met en retrait pour laisser respirer la création. Également pour nous laisser de l’espace, ne pas tout envahir, saturer, combler ( comme nous le faisons si bien dans notre logique occidentale : combler, saturer). Dieu se retire pour nous laisser vivre. 

2. Il donne «l’autorité». L’autorité, c’est la capacité d’offrir aux autres un supplément d’être. Pour ceux qui en bénéficient, c’est recevoir de la présence d’un autre, de sa parole, la capacité de trouver en soi les ressources nécessaires. Comme Jésus guérissant par son« autorité», c’est-à-dire une« parole agissante», un agir créateur qui permet à l’autre de se remettre debout. L’autorité, au sens évangélique de ce terme, donne confiance, permet la confiance qui fait vivre. Plus précisément, elle met la confiance d’un autre en soi. C’est cela la foi dont nous sommes les témoins comme église: la confiance d’un autre sur laquelle quelqu’un peut s’appuyer, sur laquelle il peut compter pour vivre. On dit un peu trop rapidement que Dieu fait confiance en l’humain. Je dirai plus exactement qu’il met « sa » confiance en nous et que nous pouvons alors nous appuyer sur elle. C’est cela l’autorité que nous avons reçu : témoins d’une confiance donnée et qui fait vivre ceux qui s’appuient sur elle. Et cette autorité nous l’avons reçue, non pas comme détenteurs d’un« pouvoir» mais comme serviteurs, c’est-à-dire sans aucun pouvoir. Car l’autorité ( en grec : exousia) n’est pas le « pouvoir » ( en grec : kratos, cette racine que l’on trouve par exemple dans démocratie : le « pouvoir au peuple ») ! Et ce sont les « serviteurs » ( on peut aussi traduire les « esclaves ») du maître qui reçoivent« l’autorité». Voilà le paradoxe de l’Évangile: les gens de pouvoir n’ont pas l’autorité ; seuls les serviteurs la reçoivent ! 

3. Il donne « à chacun son agir» (en grec : ergon). Non pas de « bonnes œuvres » à faire, mais un « agir » qui convoque la responsabilité de chacun, la capacité de répondre de soi-même. En hébreu, parler c’est agir, sans quoi la parole relève du discours, c’est-à-dire d’une parole qui n’a pas d’effet dans l’existence. Agir, c’est laisser agir en nous une parole qui ne vient pas de nous. Le maître qui « donne à chacun son agir», c’est tout le contraire d’un« salut par les œuvres ». C’est la parole qui vient faire son œuvre en nous et, à travers nous, dans le monde. C’est laisser œuvrer en nous la confiance reçue d’un autre que nous-mêmes (il «donne» !). C’est laisser œuvrer en ce monde, dans la maison commune que le maître a laissée en charge à ses serviteurs, laisser œuvrer sa parole de réconciliation et de guérison. 

4. Il ordonne au portier de «veiller» (racine egeirô, le verbe du réveil. Dans le NT ce verbe sert à exprimer la résurrection). Il y a dans la veille une dimension qui vient s’ajouter à l’agir: l’attente de la venue du maître de la maison. Une ouverture, une mise debout, verticale comme l’est le réveil, dans l’horizontalité du chronos et qui le dépasse : le kairos donne la profondeur et l’espérance au quotidien. Il donne une verticalité. C’est ce qui manque le plus aujourd’hui.  

Retrouver le sens de ce qui vient à nous et que nous ignorons tant que nous ne l’avons pas reçu, mais qui nous invite à une attitude dynamique, une résurrection ! Et nous, au lieu de «veiller», nous nous sommes «endormis», tout en étant pourtant très actif, voire hyperactif! Oui nous ne cessons d’agir les yeux fermés sur le monde tel qu’il est pour le voir comme nous le souhaitons : productif, exploitable, consommable ! 

Mais le maître peut venir à toutes les heures des veilles de la nuit ( « le soir, au milieu de la nuit, au chant du coq, le matin »). Le« moment favorable» ce n’est pas quand tout va bien ! Au contraire, c’est la nuit (symbole du mal et de la peur ici). Ce texte a effectivement une dimension du jugement (krisis en grec), littéralement de mise en crise, c’est-à-dire de mise à l’épreuve, comme il nous en arrive dans nos existences, du fait même que nous sommes vivants, confronté à la difficulté de l’incarnation. On peut appeler cela le réel, ce réel qui peut faire effraction à tout moment: ce que nous n’attendions pas, ce qui surgit sans que nous soyons prêts. Et la pandémie dont nous sortons à peine ( du moins l’espérons nous) a été un de ces réels qui a fait effraction dans nos existences. Pour tenter de s’y préparer, les disciples voudraient savoir ce que va devenir le monde ( « quand sera la fin du monde ? » demandent-ils). La seule réponse qui leur est donnée: vous n’êtes pas spectateur mais acteur de la vie du monde et donc chacune et chacun a son « œuvre » à faire. Elle ne « sauve » ni son âme, ni le monde d’ailleurs, mais elle permet que la« maison» du maître soit viable en attendant sa venue. Nous sommes donc responsables de la« maison». 

Troisième moment de cette dernière partie du discours de Jésus (v. 37) : la reprise de l’exhortation faite aux disciples et, au-delà, à un « tous » dans lequel nous sommes inclus : « Veillez, ne dormez pas ». Serions-nous donc appelés à être des « lanceurs d’alertes» c’est-à-dire des avertisseurs? Je dirai plutôt : des «veilleurs», c’est-à-dire agissant, mais aussi attendant. En tout cas pas des donneurs de leçon, des moralistes. Non! L’église dont le monde a besoin ce sont des serviteurs qui travaillent dans la« maison monde», témoins d’une dimension trop souvent oubliée et qui a à voir avec de l’incalculable, du non négociable, du non marchandisable : l’humain. L’humain dans sa dimension verticale, pas seulement dans le biologique et le médical, mais dans la profondeur de son être, l’humain agissant mais également attendant qu’advienne ce qui n’était pas prévu. C’est cela me semble-t-il la dimension de l’attente: s’ouvrir sur quelque chose d’inouï, de non prévisible mais qui relève de la grâce. 

Car la Bonne Nouvelle c’est la possibilité d’affirmer qu’il y a ce qu’il n’y a pas quand tout le monde nous invite à dire« il y a ce qu’il y a, vous n’avez qu’à regarder ! ». Frères et sœurs, nous sommes invités à nous éveiller et à agir au nom de quelque chose qui est là quand nous ne le voyons pas : cela s’appelle l’espérance, l’espérance cette « petite fille de rien du tout » comme l’appelait Charles Péguy. 

Dieu s’est retiré de ce monde, plus que jamais. Mais il nous fait veilleurs, avec d’autres. Veilleurs avec ce qui nous caractérise: la conscience d’être serviteurs d’une autre dimension, plus précisément d’une dimension autre de l’existence. Et cette dimension est une manière de préserver la vie et le vivant dans ce monde. Et cette veille active, cette vigilance de témoins impliqués commence modestement, dans nos communautés locales, communautés d’espérance et de vie. 

33 Prenez garde, restez éveillés. Car vous ne savez pas quand est le moment. 34C’est comme un homme parti en voyage: il laisse sa maison, donne l’autorité à ses serviteurs, à chacun son agir et il ordonne au portier de veiller. 35Veillez donc car vous ne savez pas quand vient le seigneur de la maison. Le soir, au milieu de la nuit, au chant du coq, le matin. 36Étant venu qu’il ne vous trouve pas endormis. 37 Ce que je dis, je le dis à tous, veillez ! 

Amen 

 

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