Dans la tradition catholique romaine que nos lectionnaires suivent, le dimanche qui suit celui de l’Epiphanie est celui du baptême de Jésus. Comme s’il fallait faire suivre sa naissance, puis sa reconnaissance par le monde et la sagesse des mages, d’un baptême, qu’on imagine bien sûr presque chrétien. Or Jésus n’est plus un poupon ni un jeune enfant, mais un adulte d’une trentaine d’années, à son baptême. Il y a donc une vraie rupture dans le temps, qu’il nous faut traverser. Et pour nous aider à comprendre le projet que Dieu met en oeuvre pour l’humanité, dans cet épisode qui ouvre l’évangile selon Marc, nous allons remonter jusqu’au prophète Esaïe.
L’appel du prophète paraît encore aujourd’hui, comme un mirage impossible à rejoindre, pour ceux qui ont faim ou soif, ou comme une folie pour ceux qui sont pauvres ou impuissants. L’invitation du Seigneur semble vraiment trop belle pour être vraie.
Vous tous qui avez soif, voici de l’eau, venez ! Même si vous n’avez pas d’argent, venez ! Achetez à manger, c’est gratuit. Venez, achetez du vin et du lait sans argent. (v.1-2)
Ce genre de proposition serait peut-être populaire dans la société d’aujourd’hui, s’il ne concernait pas les Noel du coeur, la soupe populaire et autres Resto du coeur : l’image d’un déjeuner gratuit, ou de distribution gratuite de denrées alimentaires et de produits de première nécessité. Les médias montrent régulièrement des personnes qui se trouvent sans le sou, parce qu’il n’y a plus de travail, il n’y a plus cet outil qui permet d’assurer l’existence dite normale, et qui ne survivent que grâce à ces aides supplétives. Et l’Entraide protestante pourrait en parler, peut-être aussi d’autres parmi nous, qui ont des proches victimes du système.
Les paroles d’Esaïe deviennent ainsi réalité pour des milliers de personnes. Mais pas pour les mêmes raisons que celles annoncées par le prophète. De nos jours, des familles entières sont contraintes par les conséquences économiques de la pandémie en particulier, à demander de l’aide ; pour survivre déjà, et bientôt, pour avoir un abri, lorsque les expulsions reprendront légalement. Alors que Dieu, par la bouche d’Esaïe, renverse le système économique et social en usage, par une autre révolution que celle de l’exploitation, et du profit.
Car les paroles d’Ésaïe ne sont pas vraiment une question de nourriture; c’est une question d’amour. C’est une question d’accueil. C’est une question de changement de regard du coeur. C’est le projet de Dieu pour ceux qu’il a choisis. L’invitation du prophète s’adresse aux juifs exploités sur leur terre par l’occupant, d’une part; et aussi à ceux qui ne faisaient pas partie du peuple juif.
Les non-juifs n’avaient aucun droit à la faveur de Dieu, aucun droit à son amour bienveillant. Esdras a même tenté une purification ethnique, employant des idées qu’on retrouve aujourd’hui dans certaines idéologiques politiques. Ainsi ces « goïms », gens des nations, ne pouvaient même pas gagner une petite place à l’intérieur de la maison ; le regard que procure le droit d’aînesse des Juifs, les en excluaient; ils devaient rester à l’extérieur pour regarder à l’intérieur.
Mais Esaïe annonce que Dieu est un Dieu inclusif… il veut sauver la population humaine entière; pas que les Juifs, même s’il a pour eux une attention spéciale. Ésaïe écrit : Je conclurai pour vous une alliance perpétuelle, tu appelleras une nation que tu ne connais pas, et une nation qui ne te connaît pas courra vers toi.(v3,5) Au début de son livre, c’est le même qui annonçait : A nous un enfant est né, un fils nous est donné, et il sera appelé ‘Merveilleux conseiller’, ‘Dieu puissant’, ‘Père éternel’ et ‘Le prince de la paix’ et son Royaume n’aura pas de fin. (ch.9)
Vous reconnaissez les promesses de la veille de Noël qui concernent Israël. Le repas qui avait été gratuit pour les Juifs parce que Dieu les avait choisis, il est maintenant devenu gratuit pour tous, également par la grâce de Dieu. Et c’est une parole pour nous ,au XXIe siècle, qui demeure pertinente, car rien dans ce monde n’est jamais vraiment libre. Il y a toujours des conditions cachées, des petits caractères à lire, ou des exceptions à la règle. A cause de cela, nous nous permettons même de chercher la faille dans les paroles de Dieu; il doit y avoir quelque chose que je dois faire, une certaine manière dont je dois agir, si je veux recevoir ce cadeau.
Or le cadeau de Dieu à l’humanité est un être humain qu’il a fait grandir et traverser le baptême de repentance, de teshouva en hébreu, ce qui veut dire demi-tour, revenir sur ses pas, sans forcément prendre le même chemin, un peu comme les mages.
Car mes pensées ne sont pas vos pensées, vos voies ne sont pas mes voies — déclaration du SEIGNEUR. v8 ma parole qui sort de ma bouche : elle ne revient pas à moi sans effet, sans avoir fait ce que je désire, sans avoir réalisé ce pour quoi je l’ai envoyée. v11
La Parole de Dieu est sortie, elle est venue habiter parmi les siens, elle a produit de l’effet, jusqu’à ce qu’elle revienne à Lui. L’homme de Nazareth, à son baptême, a marqué son changement d’orientation. Il n’est plus resté dans l’ombre, il a été confirmé dans son appel et s’est mis à parler ouvertement : écoutez-moi, et mangez ce qui est bon v2; tendez l’oreille, venez vers moi, écoutez et vous vivrez. v3
A l’image d’une création renouvelée, il a passé par le désert et la proximité des animaux; il a affronté la tentation de changer encore l’image de Dieu dans sa vie. Il a résisté et nous donne aujourd’hui encore la joie de recevoir gratuitement la nourriture dont nous avons faim.
Les pensées du Seigneur ont souvent été enfermées dans des systèmes, par nos églises, que nous faisons appliquer pour garantir la vérité du culte, des sacrements, des ministères et tant d’autres passages obligés. Mais le Seigneur ne sauvegarde pas le patrimoine, il le transforme pour que la vie puisse grandir.
Ce vieux livre qu’est la bible n’a de sens que parce qu’il ouvre à une vie nouvelle, différente, pour chaque génération. La gratuité est dans la pensée profonde du Seigneur. Ce n’est pas la gratuité du profit et de l’accaparement, mais de la relation, des échanges fraternels, de la communion qui nous fait grandir, qui nous fait franchir des frontières, par amour, par gratuité. Tenez-vous prêts, des changements nous attendent, pour servir le Seigneur !
