28/08/2022 : Jésus rencontre et libère

Prédication du 17/06/2023 par le pasteur Marc LABARTHE

Luc 22. (21-28) + 31 – 34

Un caillou qui se prenait pour un rocher. Son problème, c’est qu’il se croit fort. On lui a sans doute souvent répété: «Toi, tu es un dur, un solide, un meneur, un fonceur, un chef ! » 

Mais, une fois de plus, c’est une étiquette collée, donc un jugement. Et, comme tout jugement porté sur une personne, il ne peut être que partiel, et donc erroné. 

Et même encombrant aussi, pour celui ou celle qui en est affublé. Car, même si un tel jugement semble au premier abord flatteur, il laisse ensuite le goût amer du devoir de l’excellence. Car il va falloir assurer, assumer et démontrer une telle réputation. Il va falloir tenir sur la durée. 

Et gare au jour où la fragilité se pointe ! Cela peut faire terriblement mal, car plus haut nous sommes placés sur un piédestal, plus violente et douloureuse est la chute. Et tout le monde de s’étonner et d’accuser le plongeon … 

Lui, il se nomme Simon. Jésus l’appelle Pierre/Kephas. Il se considère alors comme un rocher et non pas comme le caillou qui roule et qui, parfois même, coule. Car lorsque Jésus a décidé de le choisir dans son équipe des plus proches collaborateurs, parmi les douze qu’on appelle apôtres, il a certainement pensé: « Je le mérite bien ! Fort comme je suis … et de plus l’aîné de la bande, je vais être d’une grande utilité pour le Maître! » 

• Un jour, Jésus se trouve face à ce caillou qui se prend pour un rocher. Alors que le maître annonce à ses disciples que le temps est venu pour lui de se confronter à la haine des religieux de Jérusalem, quitte à y subir leur inévitable violence meurtrière, Pierre, toujours très supérieur, emmène Jésus à l’écart. En tant qu’aîné, fort de ses qualités de meneur, il lui adresse quelques remontrances. Sans l’ombre d’une hésitation, il rabroue Jésus (Mt 16.21-23). A son goût, le maître est allé beaucoup trop loin: parler d’un échec et de mort n’est pas de bon ton ! Ce n’est pas un discours gagnant mais défaitiste. Or, à ses yeux, ce sont les valeurs gagnantes qu’il faut incarner. Alors qu’il attend de Jésus une manifestation de sa force et de sa puissance, voilà que Jésus parle de sa déchéance mortelle … Pierre, très supérieur, ose le reprendre. Il lui fait même reproche. 

Jésus ne se le fait pas dire 2x, sa réplique est cinglante, il n’est pas dans la communication non-violente, car il fait face au mensonge des origines : « Va-t’en derrière moi, Satan ! Tu n’es pas dans la logique de Dieu mais dans celle des humains ! » C’est un fait que les paroles de Pierre résonnent du même accent que celles du tentateur, lorsque Jésus a mené son combat de la foi durant les quarante jours de sa retraite dans le désert (Mt 4.1-11//Lc 4.1-13). 

Pierre incarne une logique de la force, de la puissance et de la conquête. Or, c’est justement l’opposé de la voie spirituelle que Jésus a choisi d’emprunter. Alors que, lors de son aventure douloureuse et féconde des 40 jours dans le désert, Jésus a repoussé avec courage et lucidité toute tentation de puissance — expérience qui a inauguré son ministère public—, voilà qu’il découvre la même tentation venant de son propre disciple. D’où sa réplique sèche. D’où sa colère. 

Tout esprit de conquête par la puissance est étranger à Jésus ; n’en déplaise à beaucoup de chrétiens, souvent davantage disciples de Pierre – qui se prend pour un roc solide, que disc de Jésus, dont la force se manifeste dans la faiblesse. 

• Une autre fois, Pierre et les disciples sont à bord d’une barque de pêcheurs. Ils cherchent à traverser le lac (Mt 14.22-33). C’est la nuit. Jésus leur a donné rendez-vous sur l’autre rive. Lui-même est allé prier sur la colline. Besoin de solitude … 

Le vent s’oppose, les vagues sont contraires et les disciples passent une terrible nuit, se battant contre les éléments déchaînés. Au petit matin, comme dans un mirage, Jésus vient à leur rencontre. Il marche à la surface des eaux. Les disciples paniquent et hurlent au fantôme. Pierre le courageux plastronne. Il veut même marcher à son tour sur l’eau, comme le maître. Pierre cherche à surfer sans planche !

Tout un symbole: marcher à la surface des eaux, c’est faire surface dans ce monde agité par les éléments contraires. Car l’eau – et surtout la mer – est riche en significations dans la Bible: cela peut exprimer à la fois une force qui s’oppose à la vie : aux origines, il a fallu que l’eau se retire pour que la vie puisse apparaître; c’est l’eau du déluge qui a détruit l’humanité; c’est encore l’eau qui fit barrage au peuple d’Israël au moment de fuir l’esclavagisme de l’Egypte. La mer est aussi le symbole de ce monde agité et hostile qui nous entoure et qui cherche à nous engloutir. Ainsi cette mer, dont les eaux impétueuses menacent, est le symbole de la condition difficile des croyants dans ce monde, où leur foi est mise à rude épreuve. Jésus, en marchant sur ces eaux, manifeste son autorité souveraine. Pierre, cherchant à le rejoindre et à l’imiter, prétend à cette même autorité. Il veut jouer au fort qu’il n’est pas ! 

Pourtant ça/il marche ! Jusqu’au moment où il réalise qu’il n’est plus soutenu par le regard admiratif des disciples. Ce moment où, lucide, il se sent comme un tout petit caillou fragile qui se met à couler à pic. Il n’a plus que la force de hurler: «Jésus, sauve-moi! » 

Il a fallu que Pierre coule, pour qu’il comprenne combien il est important de s’agripper à la main tendue de Jésus. Il a fallu qu’il passe par ce moment de confrontation avec sa grande fragilité pour qu’il cesse d’être un homme blindé par ses croyances rigides et fières, et qu’il devienne, grâce à un doute salutaire, l’homme de foi et non l’homme de croyance. Un homme qui ne doute de rien est en danger et peut même être dangereux pour les autres. Pierre a vécu l’expérience de la foi au prix du doute de soi. Quitter sa suffisance le menera très loin. 

N’est-ce pas ainsi qu’il faut comprendre cette parole de Jésus qui lui dit, juste après ce «plongeon/baptême» impromptu: «Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ?» (Mt 14.31) Pourquoi peut aussi s’entendre pour quoi ? En d’autres termes: « Réfléchis à quoi, vers quoi, en vue de quoi cette expérience du doute te mène … » 

• La transformation en un homme de foi doit encore passer par de nouvelles prises de conscience et des expérimentations de sa fragilité. Son cœur de pierre doit encore s’attendrir pour devenir un cœur de chair. 

• Ainsi, plus tard, lorsqu’il annonce les temps difficiles que les disciples vont traverser à la suite de son assassinat, Jésus s’adresse à Pierre en ces termes: «J’ai prié pour toi afin que ta foi ne disparaisse pas tout à fait. Mais je sais que tu vas te ressaisir et devenir un moteur pour tes frères.» Parole claire, directe, qui autorise le doute et la fragilité, mais qui, toutefois, témoigne d’une totale confiance à son égard. Parole qui libère des « personnages » que Pierre pensait devoir jouer, pour favoriser l’accès à la vérité de sa personne.

Encore une fois, Pierre joue son fier personnage: «Je suis prêt à aller  avec toi, et en prison et à la mort !»  Avec tendresse, Jésus continue: «Pierre, je te le dis, avant que le coq ait fini de chanter, trois fois déjà tu auras déclaré que tu ne me connais pas. … » Ce qui n’a pas manqué de se produire, quelques heures plus tard, lors de l’arrestation de Jésus ! 

Notons bien que Jésus n’a pas cherché à l’enfermer dans une logique de l’échec, encore moins maintenant. Il désire juste l’inviter à renoncer à jouer au fort, au dur… et à accueillir avec bienveillance et acceptation la crise d’identité qu’il va vivre par cette ultime épreuve du reniement. 

Cette expérience de sa fragilité, une fois de plus, lui permettra de devenir l’homme de foi qui a marqué l’histoire de la communauté chrétienne naissante. Pour cela, il faut qu’il affronte sa fragilité et accueille ses larmes du repentir. 

Oui, Pierre « le fort» pleure toutes les larmes de son corps, trop longtemps contenues (Lc 22.62) dans son sac de fierté. Mais c’est une rosée qui permet un tout nouveau matin de vie. 

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