10/07/2022 : Jésus rencontre et libère

Prédication du 17/06/2023 par le pasteur Marc LABARTHE

Jean 8.1-11

Vous connaissez cette histoire ; vous avez donc retenu les noms des protagonistes, en tout cas les 2 principaux : il y a Jésus, et puis : une femme.

Pour désigner cette femme, on lui a collé une étiquette. Et l’on sait très bien que lorsqu’elle est fixée, c’est comme un tatouage indélébile, incrusté dans la chair. Depuis deux mille ans on la désigne de ce qualificatif réducteur et humiliant:  la femme adultère ! 

Pourtant, la vie est faite de changements et d’évolutions. Qui donc peut se permettre de figer définitivement, soit quelqu’un dans un personnage qui ne révèle qu’une facette de sa personne? soit une situation qui ne devrait plus évoluer ? Souvenons-nous que Jésus répète inlassablement: Moi, je ne juge personne ! N’avons-nous donc jamais souffert d’un regard qui nous réduit à l’apparence de ce que nous sommes? 

Jésus enseigne dans le temple et l’on fait cercle autour de lui, lorsque des religieux choisissent de l’apostropher. Ils jettent à ses pieds cette femme qu’ils prétendent avoir surprise en flagrant délit d’adultère. Le récit précise qu’ils la mettent en évidence au milieu (du groupe). Violence des gestes, intrusion brutale et intimidation, pour faire taire la parole de grâce de Jésus, et la remplacer par une parole de condamnation. 

Ils évoquent la loi de Moïse qui ordonne la lapidation de telles femmes – de tels hommes aussi d’ailleurs, mais cela les hommes le taisent ! (Lv 20.10 ; Dt 22.22-24)-, ils interpellent Jésus pour susciter sa réaction. Cette femme n’est donc qu’un vulgaire prétexte pour accuser Jésus. Elle est instrumentalisée, elle est considérée comme un appât, un objet, utilisé à des fins personnelles. Et c’est bien là le comble du mal et du mensonge ! Ces hommes qui l’accusent d’adultère, en fait, ils la prostituent à leur tour, puisqu’ils l’utilisent, sans son consentement, pour combler leur désir pervers de puissance ! Et cela, en l’exposant devant tous, s’arrogeant le droit de vie et de mort sur elle.

Sans prononcer un mot, Jésus se baisse jusqu’au sol, et de son doigt, il trace une mystérieuse écriture sur le sol. Que la femme soit debout ou prostrée au sol, Jésus n’a même plus le regard posé sur elle. Il a comme quitté cette violence outrancière des mâles dominants, et la faute que la femme a commise.

Première grande leçon du maître: face à l’insolence des sachants et des prétentieux qui l’interpellent, mieux vaut se taire. Car toute parole immédiate aurait répandu de l’huile sur un feu qui brûle avec vigueur.  Jésus n’a qu’un geste. Mais quel geste! Il rejoint la femme là où elle se trouve déjà aux yeux des accusateurs, selon l’application de la loi de Moïse, c’est-à-dire à ras du sol. Il révèle ainsi non pas le Dieu Très-Haut, mais le Très-Bas. 

Combien de fois avons-nous vu de ces soi-disant consolateurs, qui savent et se campent du haut de leur grandeur, alors que l’autre est abandonné à sa souffrance, dépouillé de son espérance, rendu incapable de faire un pas de plus.

Jésus, le Très-Bas, s’est mis à son niveau et griffonne sur la terre. Qu’a-t-il donc bien pu tracer ? Nul ne sait. Mystère … Notons toutefois que c’est la seule écriture connue du doigt de Jésus, qui ne nous est même pas parvenue, parce qu’écrite sur la poussière des dalles qui pavent le temple ! Ainsi, personne ne connaîtra le secret de ces quelques mots efficaces qui sauvèrent la vie d’une pauvre fille abusée à qui des « gens de bien», au nom de la loi, de la morale et de l’exemple, voulaient faire éclater la tête et le corps avec des pierres lancées à pleine volée! 

Mais au f ait, pourquoi cette écriture? Est-ce une manière de révléer cette arrogance abjecte? 

Saint Jérôme (IVe) émet l’hypothèse que Jésus trace dans la terre, pêle-mêle, quelques attitudes coupables des accusateurs tels la calomnie, l’hypocrisie, la médisance, l’orgueil du propre juste … Ainsi, ces hommes se penchant sur le sol pour voir ce que Jésus écrit se découvrent comme face à un miroir. L’idée est ingénieuse. Et cela, sans dire un seul mot. Le geste a du panache. 

Se rendent-ils compte qu’en choisissant l’étrange écritoire de sable qui ne résiste ni au vent du soir ni à l’incessant va-et-vient des passants, Jésus leur donne à eux aussi une nouvelle chance? La possibilité de vivre un éveil … 

François Mauriac (†1970) voit dans ce geste la délicatesse de Jésus: Le Fils de l’homme, sachant que cette malheureuse défaillait moins de peur que de honte, ne la regardait pas parce qu’il est des heures dans la vie d’une créature où la plus grande charité est de ne pas voir. Tout l’amour du Christ pour les pécheurs tient dans ce regard dérobé. Et les chiffres qu’il traçait sur la terre ne signifiaient rien de plus que sa volonté de ne pas lever les yeux vers ce pauvre corps.
Dans le même sens, Daniel Bourguet, évoque ce geste de Jésus, et parle d’une admirable pudeur. 

Mais voilà une autre piste: cette femme a les yeux rivés sur le sol. Jésus écrit alors sur cette page de terre devenue son seul horizon, afin de la rejoindre encore davantage. Peut-être y trace-t-il des mots de tendresse, d’accueil, de pardon, d’amour. Comme une lettre qui lui est destinée et qui se déroule là, sous ses yeux. 

Ecriture iconoclaste – et salvatrice-, visant à bousculer ces maîtres religieux, appelés docteurs de la loi. En écrivant dans cette fragilité de la terre, sa parole contraste symboliquement avec les commandements gravés par le doigt même de Dieu dans le granit du Mont Sinaï. Les spécialistes de cette loi étaient devenus froids, durs et rigides, comme cette pierre sur laquelle les ordonnances furent consignées. Jésus, par contraste et provocation, inscrit une parole dans la douceur, la fragilité de la poussière. Parole non figée, puisque soumise au souffle du vent. Parole donc circonstanciée. Parole de chair et non de pierre: la terre évoquant, pour un Juif, la matière fragile avec laquelle Dieu créa l’être humain. L’homme, une poussière de terre animée par le souffle vivifiant du Créateur … Jésus l’a rappelé à maintes reprises : la lettre tue, seul le souffle est Vie. 

Devant l’insistance, Jésus se lève. Tous attendent une parole qui va surgir, qui doit surgir. Il parle enfin. Mais quelle économie de paroles: juste une phrase. Tellement percutante, qu’elle figure aujourd’hui dans les dictons populaires: Que celui qui est sans péché jette la première pierre, ou mieux, jette le premier la pierre 

Ces hommes sont médusés: impossible d’échapper à une telle parole ! 

Après avoir dit cela, Jésus s’accroupit une nouvelle fois et poursuit tranquillement son travail d’écriture. A ce moment précis, si quelqu’un décide de jeter la pierre, non seulement Jésus risque de la prendre, mais il lui serait impossible de connaître qui la lance ! Jésus démontre ainsi qu’il lui importe peu de connaître le coupable. Ses yeux sont rivés au sol. Il ne peut donc savoir d’où vient la pierre éventuelle. Plutôt que de s’évertuer à dénoncer le coupable, Jésus préfère éveiller les consciences dans le respect des libertés et des choix librement assumés. En cherchant à éveiller cette culpabilité refoulée chez ces hommes blindés, Jésus réussit à ouvrir une faille. Seule ouverture possible pour que s’y glisse sa grâce. Pas de condamnations mais un appel à l’éveil de la conscience. Seule voie qui permet à tous de retrouver le chemin de la dignité. 

La furie ainsi désarmée, les hommes tournent les talons et repartent. Ils s’en vont un à un. Ils sont venus en foule, un mouvement de masse chauffé à blanc. Jésus rend ici, à chacun, son autonomie et son individualité. 

Et Jésus reste seul avec la femme au milieu. Etrange … Au milieu de quoi ou de qui, puisque Jésus est seul avec elle ? N’est-ce pas le signe que Jésus, par son attitude, lui a permis de retrouver son centre de gravité, parce qu’elle a été accueillie, respectée, validée, réhabilitée? Elle a retrouvé son centre, son axe et sa verticalité. Elle est donc bien au milieu. 

Alors Jésus va la mettre en marche. Il désire en faire une vivante. Pour cela, il lui fait comprendre qu’à ses yeux, l’étiquette ne colle pas: Moi non plus, je ne te condamne pas! 

Certes, il ajoute Va et ne pèche pas. Dans la Bible, l’une des expressions les plus courantes pour évoquer le péché se traduit par manquer sa cible. Voilà une belle et étonnante manière d’envisager le péché: manquer son objectif. C’est comme si Jésus disait à cette femme: Va, libre, libérée du regard jugeant et paralysant des autres. Pars la tête haute. Et, dorénavant, vise juste au cœur de ta vie! Retrouve ton axe, ton équilibre, tes objectifs. Recentre-toi. 

Les hommes sont partis, en marche vers l’éveil intérieur. La femme est partie, la tête haute, et en marche vers une destinée aspirée par un incroyable courant de liberté. Seul, Jésus reste dans le temple, un autre débat va commencer et s’achever avec les pierres destinées à la femme qui sont lancées sur Jésus (v59). N’y a t-il pas dans ce récit comme un résumé de tout l’évangile ?

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