3/07/2022 : Jésus rencontre…

Prédication du 17/06/2023 par le pasteur Marc LABARTHE

Marc 10.46 à 52

Cette histoire commence par une présence encombrante. Juste à la sortie de Jéricho est assis le mendiant de la ville. Un aveugle qu’on appelle Bartimée. Son nom se traduit littéralement par Fils de Timée. Même si la pratique était courante en ce temps-là, c’est toujours difficile de s’appeler fils de son père. Il est quand même plus valorisant d’être reconnu comme une entité propre !
Mais ce nom répété peut aussi être un quolibet. Et par contraste, les extrêmes contraires se rejoignant, signifier Fils de l’impur. Dans ce cas, en plus de sa souffrance physique, on le méprise. Comme si sa cécité était la conséquence ou le signe de son impureté. C’est bien ce que l’on pensait à l’époque. Les choses ont-elles vraiment changé aujourd’hui? La souffrance met toujours mal à l’aise, et notre inconscient rejette souvent le souffrant qui nous impose un miroir insupportable: celui de nos peurs non assumées, nos vulnérabilités, nos fragilités, nos limites et donc notre finitude. Nous ne sommes pas dans la toute-puissance et la toute-maîtrise … et c’est parfois bien difficile à admettre! 

Le récit précise que l’homme est assis au bord du chemin. C’est un laissé-pour-compte d’une société de « bien portants», un marginal de la vie. Deux mondes – celui des « bien portants actifs» et celui des «malades-dépendants» – qui s’ignorent trop souvent! Il est au bord du chemin comme au bord de son existence; a-t-il espoir que quelque chose se passe afin de le remettre en marche sur ce chemin?

Entendant que Jésus s’approche – entraînant à sa suite un cortège de curieux et de disciples-, il se met à hurler: Jésus, aie compassion de moi ! Car, tout ce que cet homme sollicite, c’est un peu de compassion. Surtout pas de la pitié: de la compassion. Juste un regard, un signe d’amour, qui lui rappellent qu’il existe. Gestes qui, apparemment, lui sont refusés. D’ailleurs, la foule qui est là pour acclamer Jésus s’empresse de le rabrouer. Un mendiant qui gueule sa souffrance alors que tout le monde acclame le héros du jour, cela gâche le paysage! Sa présence fait de l’ombre au bonheur. Elle met trop mal à l’aise. Encombrante !

Mais l’homme ne se laisse pas désarçonner: il persévère de plus belle dans sa requête. Et peu lui importe la malveillance de cette foule. A force, il en a pris l’habitude. Jésus finira bien par l’entendre, pense-t-il: Jésus, fils de David … aie compassion de moi ! 

Au milieu du brouhaha et des bousculades, Jésus entend. Il a l’ouïe singulièrement fine pour percevoir le cri du cœur. C’est alors qu’il prononce cette parole étonnante: Appelez-le !  L’ordre déconcerte: n’est-il pas plus sensé de se déplacer jusqu’à cet aveugle? Cet homme qui peine à se mouvoir à tâtons peut au moins s’attendre à ce que Jésus le rejoigne! Pourquoi cette distance gardée? Jésus cherche visiblement à le mettre en marche et à en faire le partenaire de sa propre guérison. A vouloir bien faire pour les autres – soi-disant pour les aider – on en fait souvent trop et cela ne contribue qu’à conforter le manque de confiance en soi – et donc la peur – si présent chez le souffrant. 

Par la même occasion, Jésus invite la foule à quitter ses peurs et ses idées toutes faites, qui s’expriment par de l’agressivité. Il crée un élan de solidarité, proposant même aux témoins présents d’être un relais entre l’aveugle et lui-même. Il ose croire, qu’au cœur de tout être se niche un désir de bonté. Peut-être ne faut-il que peu de chose, qu’une parole, pour réveiller cette braise qui sommeille en eux. Jésus est persuadé que ces gens sont capables de solidarité, c’est pourquoi il en fait des collaborateurs: Dites-lui de venir jusqu’à moi, ordonne-t-il. 

Jésus ne s’est pas trompé: Courage! Lève-toi, il t’appelle ! disent-ils à l’aveugle. Le ton a radicalement changé. Ils vont au-delà de ce que leur demande Jésus: spontanément ils lui apportent une parole de réconfort. Laissant l’agressivité, ils adoptent une attitude bienveillante. Car la bonté est contagieuse. Comme par enchantement, Jésus met tout ce monde en marche: l’aveugle comme la foule. 

A ces mots, l’infirme jette au loin son vêtement. Vous la voyez, cette couverture cache-misère, destinée à le protéger du froid la nuit et des regards indiscrets et malveillants. Ce qui démontre que l’invitation de Jésus – assortie d’un regard compatissant et responsabilisant – l’a totalement libéré de la peur du qu’en-dira-t-on ! D’un bond, il court vers Jésus, avec ses grands yeux vides écarquillés sur un horizon lointain qu’il semble subitement apercevoir, comme aspiré par un irrésistible appel venant du vaste infini … Avez-vous déjà vu un aveugle qui s’élance à tâtons? La scène peut inspirer quelques ricanements à la ronde. Qu’importe! Il est prêt à s’exhiber dans sa vulnérabilité, car il se sait enfin reconnu et digne. 

Jésus surprend une nouvelle fois par sa question adressée à l’aveugle: Que veux-tu que je fasse pour toi ? Comme s’il n’avait pas remarqué son handicap! Le besoin de l’infirme n’est-il pas suffisamment évident? 

Il faut encore y entendre une parole libératrice invitant l’homme à exprimer son vouloir et son JE, le poussant à devenir sujet. Jésus cherche à vérifier le besoin de l’aveugle, ce qui va plus loin que la simple compassion ; c’est pourquoi il lui donne l’occasion de le formuler. Il s’interdit de plaquer sur lui son propre désir. Jésus veut entendre de la bouche de l’infirme lui-même sa détermination à guérir. Respect ultime du maître qui place l’individu au cœur de son être, de son désir, de son choix, de sa liberté. 

Si tu te mets à la place de l’autre, l’autre alors où se met-il ? s’interrogeait avec humour le psychanalyste Jacques Lacan.  Accueillant le désir clairement exprimé – Que je retrouve la vue ! – , Jésus conclut par ces paroles qui visent une fois de plus à envisager l’être comme un acteur de sa vie: C’est TA foi qui t’a sauvé !

L’homme ayant recouvré la vue, le récit s’achève ainsi: Il se mit à le suivre sur le chemin.

Souvenez-vous qu’au début du récit, l’homme infirme est au bord du chemin, puis il se déplace au milieu du chemin, pour finalement décider de se mettre en marche sur le chemin. Trois temps d’une révolution radicale. Trois étapes d’un chemin spirituel suscité par le désir, le manque, la promesse, à la suite du maître. Jésus l’a mis debout, l’a mené au centre du chemin et a provoqué sa mise en marche.

Dans cette rencontre, deux éléments ont été déclencheurs de vie: l’aplomb de l’aveugle qui a osé demander et le cran de Jésus qui a nommé son cri du nom de foi. Ces deux audaces conjuguées sont capables d’accomplir des miracles. 

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