26/02/2023 : Reddition de Jésus

Prédication du 26/02/2023 par le pasteur Marc LABARTHE

Genèse 2,15 à 17  et  3,1 à 7       Matthieu 4v 1 à 11

 

Les lectures de ce 1er dimanche du Carême reviennent chaque 3 ans. Avec Gen et Mt, ce sont 2 histoires parmi les plus puissantes et les plus évocatrices de la Bible, sur un thème très sensible, celui de la tentation.

La 1e histoire est ce récit étonnant d’Adam et Eve et leurs problèmes dans le plus beau des jardins. Tout va très bien, leur vie est épanouie ; survient un jour le serpent au regard honnête, qui glisse tout tranquillement quelques nouvelles idées. Ensuite, la tentation triomphe, et l’homme et la femme se découvrent une vulnérabilité jusque dans leur corps, et se protègent tant bien que mal; finalement, tout est perdu, le paradis appartient au passé, ne demeurent que des regrets et un arrière-goût amer.

La 2e histoire offre un puissant contraste ; le jour même de son baptême, Jésus est entraîné par l’Esprit dans le désert, qui est aussi éloigné du paradis que possible. Là, contrairement à Adam et Eve qui étaient entourés de facilité et d’abondance, Jésus est épuisé, affamé et seul, 40 jours et nuits de lutte avec le temps, qui ouvrent enfin sur le défi des tentations.

Les deux histoires parlent de tentation, d’échec et de résistance, et se croisent sur plusieurs points ! D’une certaine façon, le résultat semble assez simple : Jésus est le gagnant, et Adam et Eve sont les perdants ; ils sont faibles et il est fort. Donc, il vaut mieux être comme Jésus que comme Adam et Eve. Et comme on lit ces texte à l’ouverture d’un temps de 40 j – Carême, il y a l’idée que le Carême pourrait nous rendre plus forts, afin que nous soyons plus comme Jésus que comme Adam et Eve, du moins en ce qui concerne les tentations.

Et c’est une idée qui flatte notre ego. Parce qu’il existe vraiment une chose qui est celle d’être plus ou moins en forme spirituellement – être plus ou moins capable de faire face aux exigences d’une vie chrétienne sérieuse. Il en va de notre caractère, et aussi du développement de vertus ou d’habitudes.

De plus, cela touche également notre forme physique et intellectuelle. Il ne fait aucun doute  qu’appliquer la discipline de prise d’un médicament lorsqu’on est malade assure une meilleure santé, alors un parcours proposé durant le carême peut nous aider à progresser dans la bonne direction ; ainsi les muscles spirituels ou habitudes que nous allons développer, rejoignent ceux que nous utilisons dans le quotidien – respect des règles de la route, choix du magasin pour ses courses, préparation de la maison pour la visite des p-enfants, etc.

Ce qui fait de l’histoire d’Adam et Eve une histoire vraie, ce n’est pas qu’elle décrive quelque chose qui s’est passé ailleurs il y a longtemps – ce n’est pas le principal. Ce qui fait de l’histoire d’Adam et Eve une histoire vraie, c’est qu’elle décrit exactement ce à quoi ressemble la vie ici et maintenant – elle dit la vérité, non seulement sur eux, mais sur nous. Encore et toujours, nous nous retrouvons comme eux – obligés de décider quoi faire avec quelque chose qui, d’un côté, a l’air vraiment bien, semble utile et populaire, et qui pourrait bien nous apprendre une chose ou deux – mais que, d’un autre côté, nous soupçonnons fortement que ce n’est pas ce que Dieu voudrait pour nous. Et nous devons choisir. Lorsque cela se produit, il vaut mieux être plus fort et avoir développé certaines de nos habitudes spirituelles. Mais sommes-nous plus forts quand tout va bien ?

Il y a bien une réelle valeur à l’idée que nous devons nous améliorer un peu, et que le Carême est une bonne occasion d’en faire un peu plus – ou de commencer à le faire.

Cependant, il y a aussi des risques à aborder les choses de cette façon, aussi bonne soit-elle. D’une part, ces propositions sur la remise en forme peuvent conduire à un genre de spiritualité machiste, illustrée par ce jeune moine qui se vantait de pouvoir jeûner devant n’importe quel homme du monastère lors de son repas. Cette manière de penser manque le but quant à ce point de la  croissance spirituelle. D’autre part, nous restons enfermés dans une vision erronée de ce qu’est vraiment la manière de bien faire les choses.

Pour nous en sortir, regardons bien ce qui se passe dans la tentation de Jésus. Il a jeûné et prié pendant longtemps – aussi longtemps qu’il l’a fallu – c’est ce que signifie « 40 jours » – et il est affamé. Il est à bout de souffle, épuisé et abattu par le temps, la solitude et l’effort qu’il faut pour tenir le coup dans une telle situation.

Il n’est pas à son meilleur. Il ne déborde pas de puissance physique ou spirituelle ou de toute autre sorte de force. Il a utilisé toute son énergie pour se rendre là où il est, simplement pour être fidèle au jeûne imposé par l’Esprit. C’est dans cet état de faiblesse que les tentations viennent le frapper.

C’est une autre sorte de tentation que celle à laquelle Adam et Eve ont été confrontés. Nous avons aussi, des périodes d’excès de tensions ou de dépression. C’est à ce moment-là que nous sommes confrontés à des tentations fortes, ou convaincantes, ou addictives, ou belles, ou tout simplement dures, et que nous manquons de ressources.

Peu importe à quel point nous étions forts au départ, nous ne pouvons tout simplement plus avancer dans la direction que nous avions choisie, et au lieu de cela, nous sommes entraînés sur des chemins qui sont contre notre volonté, mais définis par nos appétits et notre ego. Ce n’est plus seulement une question de ne pas être assez fort; c’est une question d’être vide. Et c’est là que Jésus était — il était affamé; il était en panne d’essence au milieu de nulle part, et il était tenté, vraiment tenté par des propositions vitales pour sa survie, essentielles pour s’en sortir.

Relisez ce qui se passe : Jésus ne dit pas un mot de son propre crû.

Au lieu de cela, il cite les Écritures d’une manière simple et directe, ce qui ne ressemble pas à la façon dont il utilise les Écritures ailleurs dans les Évangiles. Jésus n’a pas de mots, pas de résistance, pas de force propre – il s’accroche simplement au Père et laisse les paroles et l’Esprit du Père passer à travers lui.

La réponse de Jésus au tentateur n’est pas une victoire de la force personnelle ni spirituelle, dans une sorte de concours cosmique éliminant la tentation en 3 manches décisives. Bien au contraire, sa victoire est le cadeau qui vient de la reddition. (Cela n’a pas été le choix d’Adam & Eve – pas d’abandon, mais saisie…)

Il est certain que son temps dans le désert a donné à Jésus une relation plus forte et plus disciplinée avec le Père ; et en tant qu’être pleinement humain, il devait prêter attention à ces questions, tout comme nous le faisons. Mais cela lui a aussi donné quelque chose d’autre, quelque chose de plus, quelque chose que nous voyons dans son histoire des tentations, et toute sa vie.

Son temps dans le désert a donné à Jésus la perspicacité et le courage de s’abandonner, et ainsi de dépendre, non pas de ses propres efforts, mais d’un vide qui ne peut être comblé que par le Père, un manque qui ne peut être comblé que par un don de la grâce.

Quelques mois plus tard, Jésus dit à ses disciples : lorsque vous serez livrés à vos ennemis : « Ne vous inquiétez pas de la manière dont vous parlerez ni de ce que vous direz, car ce que vous devrez dire vous sera donné, à ce moment-là. » Et lorsqu’il est sur la croix, Jésus goûte un désert plus âcre encore, et son ultime souffle est de citer un ps, et de se donner au Père.

En fin de compte, la vie spirituelle n’est pas de parler de soi, ni de ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire. De façon ultime, la vie spirituelle parle toujours de Dieu et des dons de Dieu – des dons de grâce, des dons qui ne manquent pas – même en situation extrême.

 

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