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26/03/2023 : Mort et fidélité
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Prédication du 26/03/2023 par le pasteur Marc LABARTHE
Prêtre et prophète, Ezéchiel est exilé depuis 12 ans en territoire babylonien, lorsque Jérusalem est prise et détruite en 586 AvJC. De nouveaux exilés rejoignent la première vague. Israël a tout perdu : sa Terre, son Roi, son Temple. Babylone, pour ces gens déplacés, est un endroit complètement perdu et étranger – un endroit où ils n’auraient jamais dû se trouver, pourtant ils y sont. Dépouillés de
tout ce qu’ils avaient et étaient, ce sont des « morts ambulants » ou des « os complètement secs ». La logique historique voudrait que, à l’exemple de tant d’autres petits peuples, Israël disparaisse par assimilation progressive.
Combien de fois nous retrouvons-nous dans un lieu inhabituel et un temps sans fin, lorsque nos vies lâchent pied ? Les pertes, les traumatismes et les malheurs, parfois en cascade, viennent frapper des familles, aussi sûrement que Dieu « fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes » (Mt5:45), laissant nos propres os tout à fait secs. Et au-delà de nos histoires personnelles et familiales & société, il y a aussi le regard que nous portons sur notre église, en voie de dessèchement progressif. Désintérêt, indifférence, opposition, autres philosophies; sera-t-elle comme cette vallée qui dévoile des ossements nombreux et anciens ?
Dans ce contexte désastreux, Dieu appelle Ézéchiel à sa fonction de prophète (ch.1à3). Il est chargé d’annoncer d’abord des paroles de jugement contre les nations et Jérusalem; puis dès le ch.33, il annonce des promesses de rétablissement aux exilés, jusqu’a leur résurrection en tant que Peuple dans notre passage.
Pour faire comprendre aussi bien à Ez qu’à ses auditeurs et lecteurs ce qu’est son projet, Dieu déplace son prophète dans une vallée jonchées d’ossements humains : ceux qui ont vu l’ossuaire de Douaumont près de Verdun, ou ailleurs, peuvent imaginer les gorges de l’Ardèche jonchées de ces os desséchés par le soleil. C’est parlant; et le prophète doit s’y promener de long en large, pendant un moment ; ça doit craquer à chaque pas, rouler deci delà. Puis Dieu demande au prophète ce qu’il en pense : ces os peuvent-ils vivre ? La réponse est négative, mais le prophète s’en remet à Dieu: tu le sais ! car il ne comprend pas où Dieu veut en venir.
Alors Dieu demande à Ez de parler et d’expliquer l’action de Dieu : à ces ossements, Dieu promet 2x (v5+6) la vie par la venue d’un souffle ; ce souffle réunira les os, les rattachera au bon endroit et les couvrira de chair. Et pendant qu’Ez parle, les os se rassemblent pour former des squelettes dans un bruit d’os qui s’entrechoquent, et se recouvrent aussi de chair. Mais les corps restent étendus –
une immense vallée pleine de cadavres, au lieu d’ossements, et le silence revient, pesant.
N’est-ce pas ainsi que le peuple perdu sur les rives du fleuve à Babylone se ressentait ? leur espoir est perdu ; ils sont complètement déracinés, perdus en exil; à quoi bon vivre encore, puisqu’ils sont coupés de la vie, de la liberté et de la poursuite du bonheur ? Là-bas en Israël, les ossements des morts dans la bataille et les massacres ; ici, les cadavres moribonds, les morts vivants.
Certaines situations peuvent être ressenties de cette façon, lorsqu’un conjoint meurt, un divorce a lieu, la disparition d’un enfant, ou la délocalisation d’une entreprise. Peut-être même les événements actuels induiront de tels sentiments autour de nous – chaleur et sécheresse, crise économique, famine et conflits sociaux et guerre à nos portes. L’avenir n’est pas rose, mais d’un rouge sombre.
Dieu parle une 3e fois, et ordonne quelque chose de nouveau : le souffle invoqué vient des 4 vents, ce vent ne souffle plus dans une seule direction, longeant la vallée; non, il vient de partout, en même temps. Une sorte de Pentecôte avant l’heure, puisque ce souffle-là entre dans les cadavres entremêlés et les réveille, les relève, et les voilà debout, comme une immense armée qui remplit la vallée, prête à se mettre en marche. La station debout indique que ce peuple est à nouveau rempli de force, il a de l’espoir, de l’espérance. Les ossements sont devenus des êtres vivants conscients de leur situation. Parce que des ossements ne savent pas qu’ils sont morts et secs !
Et Dieu parle une 4e fois, donnant le sens de cette parabole-vision, dont Ez doit être le porteur. Dieu s’immisce dans le désespoir du peuple, il part de son état déliquescent, pour proclamer que Dieu va changer le présent. Or l’explication ajoute un mot nouveau, celui de tombeaux dont Dieu va faire sortir le peuple; cette image évoque autre chose que la mort désespérée — ossements et cadavres abandonnés ; c’est l’enfermenent dans lequel le peuple s’est placé depuis sa déportation. Ce repliement sur soi ne dégage pas une bonne odeur, comme toute pièce fermée, et c’est plutôt un contre-témoignage. Et c’est pourtant là que Dieu vient souffler son vent.
Et Dieu va plus loin encore qu’avec les ossements desséchés de la vallée : après avoir fait venir UN souffle, puis LE souffle, ici, il donne SON souffle, afin de faire remonter le peuple de sa mort et de son caveau, et de le ramener de la Vallée sur son terrain de vie. Non pas le pays d’Israël, eretz, mais la terre, adamah, assurant comme une reprise de la création humaine, bien autre chose qu’un terrain
privé qui serait retrouvé pour l’exploiter égoïstement.
L’exil n’est donc pas le dernier mot, et la vallée sans vie n’est pas la fin du chemin. Dieu refuse de laisser des os secs éparpillés. Dieu n’abandonne pas ces gens, malgré tout ce qui s’est passé avant ; même leur infidélité abjecte ne décourage pas Dieu; la puanteur de leur tombeau et leur lamentation égoïste, tournée sur eux-mêmes, ne le retient pas de donner sa lumière d’espérance. Dieu appelle Éz
à prononcer une parole au coeur de la mort et de la destruction, soulignant ainsi sa fidélité, qui défait ce que l’homme a cru détruire.
Ce texte a de nombreux échos aujourd’hui encore, dans notre vie, dans notre église, dans notre monde. Notre société se désagrège lentement; elle doit se transformer pour s’ouvrir à une autre manière de vivre; tout comme nos églises. Cela passe par la prise de conscience de ce qui est mort, et laisser Dieu changer là où lui le veut. Le résultat s’accomplira dans une autre génération, comme pour les exilés, mais nous pouvons ou bien continuer à nous morfondre, ou bien nous pouvons saisir la promesse de Dieu pour ensemencer dès maintenant, dans les changements à vivre : et cette orientation-là est porteuse de joie profonde.